Le système Kaïzen, créé en 1948 à l’initiative de Taiichi Ohno, constituait le noyau dur de la gestion de la production « toyotienne ». Depuis sa création et jusqu’aux années 2000, le kaizen a connu plusieurs modifications importantes : achèvement du système de salaire et des règles de jeux (1965-1971), révision de la rémunération de la production (1990-1993), modification importante de sa détermination (1999-2004). Tout au long de ces périodes la rémunération de la production et la gestion de l’efficience productive, ou de la productivité, sont restées en relation étroite : la hausse de l’efficience productive par le Kaïzen se répercutant de manière plus ou moins importante selon les périodes sur la rémunération de la production (Shimizu 1995, 1999 et 2004).
La journée de travail du Gerpisa du 27 février 2015 a été l’occasion de revenir sur les dernières modifications du système Kaizen effectuées pendant la période 1999-2004, un sujet déjà traité dans Shimizu (2009), pour élucider son retentissement sur la gestion de la productivité dans la période suivante. Les résultats des recherches auprès de la direction de la gestion de production, des DRH et des syndicats de Toyota, bien que provisoires, sont présentés dans le but de clarifier la place du système de production Toyota (SPT) dans le management de la firme après 2004.
Notes:
Koichi Shimizu
Professeur, Ecole Supérieure des Sciences Sociales et Humanités, Université d’Okayama
Texte complet:
Introduction
Le système Kaïzen, créé en 1948 à l’initiative de Taiichi Ohno, constituait le noyau dur de la gestion de la production « toyotienne ». Depuis sa création et jusqu’aux années 2000, le kaizen a connu plusieurs modifications importantes : achèvement du système de salaire et des règles de jeux (1965-1971), révision de la rémunération de la production (1990-1993), modification importante de sa détermination (1999-2004). Tout au long de ces périodes la rémunération de la production et la gestion de l’efficience productive, ou de la productivité, sont restées en relation étroite : la hausse de l’efficience productive par le Kaïzen se répercutant de manière plus ou moins importante selon les périodes sur la rémunération de la production (Shimizu 1995, 1999 et 2004).
La journée de travail du Gerpisa du 27 février 2015 a été l’occasion de revenir sur les dernières modifications du système Kaizen effectuées pendant la période 1999-2004, un sujet déjà traité dans Shimizu (2009), pour élucider son retentissement sur la gestion de la productivité dans la période suivante. Les résultats des recherches auprès de la direction de la gestion de production, des DRH et des syndicats de Toyota, bien que provisoires, sont présentés dans le but de clarifier la place du système de production Toyota (SPT) dans le management de la firme après 2004.
Présentation
K. Shimizu a présenté ses dernières recherches sur les changements dans le système des salaires et la gestion de la productivité chez Toyota de manière à mettre en lumière le caractère radical des changements qui ont eu lieu depuis 2004. L’exposé a tout d’abord porté sur les anciens systèmes de salaires et leur relation avec la gestion de la production, avant de se focaliser sur les modifications plus récentes : à partir du mois d’avril 2004, la rémunération de la production n’est plus indexée sur les gains de productivité par équipe et en temps réel, mais elle est désormais fixée pendant un an et sur la base d’une formule correspondante au niveau de qualification individuel multipliée par le taux de croissance de la productivité globale de l’année précédente.1 Selon K. Shimizu, compte tenu de l’évolution historique du système de T. Ohno, il s’agirait d’une rupture majeure, qui marque la fin de l’ « ohno-isme » chez Toyota. Ensuite, K. Shimizu a mis l’accent sur la nouvelle gestion de la production tout en illustrant le passage vers la suppression de la gestion « ohnienne » de l’efficience productive (EP). Le changement de la méthode de calcul pour la rémunération de la productivité aurait comme but de développer la gestion de la productivité par objectif de manière top-down plutôt que de manière bottom-up. Cependant, K. Shimizu a conclu que l’esprit de T. Ohno est toujours vivant dans le SPT, même si son lien direct avec le système de salaire a été coupé. En d’autres termes, la gestion de la production par objectif a forcé les usines d’appliquer des activités
1 Par exemple, 6 000¥ x 1.04 si les gains de productivité sont 4%.
Kaizen pour atteindre le taux de croissance préalablement convenu avec la direction. De plus, le SPT est toujours considéré comme la méthode Kaizen qui réduit le coût de revient dans les usines.
Pistes de réflexion
La présentation de M. Shimizu a été suivie par une discussion fructueuse, dont les points principaux peuvent-être résumés comme suit :
• Les origines et l’explication du changement en 2004 : même si on peut tirer des conclusions sur la signification de cette modification majeure sur le système des salaires et la gestion de la productivité chez Toyota, nos connaissances sont assez limitées par rapport à ses véritables causes. Par ailleurs, la raison n’est jamais énoncée officiellement. Toutefois, les résultats des recherches menées depuis des années au sein de l’entreprise peuvent suggérer des origines lointaines : le début de ce processus se situerait ainsi vers la fin des années 80 et notamment au moment des actions du comité paritaire chargé de rendre le travail chez Toyota plus attrayant. Pendant la décennie suivante les disciples d’Ohno au sein de la direction ont résisté contre la suppression des principaux dispositifs de la gestion ohnienne de la production et du travail. Ce désaccord aurait poussé la firme à une méthode de modification modérée, sous la forme d’un changement progressif qui culminerait en 2004. En ce qui concerne les négociations entre le syndicat d’entreprise et la direction, celles-ci avaient commencé un an avant la notification officielle, à savoir en 2003.
• La situation actuelle de la relation salariale chez Toyota : est-ce que finalement ce changement a abouti aux résultats attendus, c’est-à-dire à rendre le travail plus attrayant ? Depuis les années 2000, l’entreprise a dû faire face aux fluctuations conjoncturelles de la demande et elle a donc procédé au recrutement de nombreux salariés temporaires, ce qui a impacté le travail des cols bleu. Pendant les années 2006 – 2007 le nombre des salariés temporaires s’élevait à 10 000 personnes pour un effectif total d’environ 40 000 cols bleus. Cette solution précaire aurait pourtant provoqué des complications au niveau de l’organisation du travail au sein de l’entreprise en forçant les chefs d’équipe à travailler sur la ligne de montage pour résoudre des problèmes au lieu de se concentrer sur leurs tâches d’encadrement. Il est donc apparu que le recours aux salariés temporaires manquants d’expérience et des compétences n’était pas aussi efficace même si ces derniers étaient moins rémunérés que le personnel permanant. Jusqu’à aujourd’hui et malgré les diverses modifications du système des salaires et de la gestion de la productivité, Toyota n’arrive toujours pas à recruter les salariés temporaires qualifiés dont il aurait besoin.
• La particularité de Toyota par rapport aux activités Kaizen : les principes de ce système d’ « amélioration continue » sont appliqués notamment par des ingénieurs qui sont également responsables de la qualité de la production ou la sécurité du travail dans chaque usine. Les chefs d’équipe sont aussi formés et autorisés à amener leurs actions concrètes afin d’influencer directement l’efficience productive. Les ouvriers sur la ligne de montage par contre, n’ont ni le temps ni les compétences pour faire usage de ces règles. Ils peuvent cependant apprendre les méthodes adéquates en proposant des suggestions, et spécialement en période de crise pour l’entreprise. C’est ce qui est arrivé pendant les années 60 et 70 par exemple, quand les opérateurs effectuaient des démarches Kaizen avec leurs chefs. Cet engagement direct des salariés se serait toutefois estompé avec le temps et les modifications des dispositifs de gestion jusqu’à devenir dans les années 2000 pratiquement inexistant.