Cars21 ou l’improbable politique industrielle européenne

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La chronique hébdomadaire de Bernard Jullien directeur du Gerpisa.

Autoactu nous indiquait cette semaine la publication du rapport intermédiaire de Cars21 deuxième vague qui, suite à la crise, a repris en 2010, la démarche d’analyse et de recommandations qu’avait initié le premier Cars1 au milieu des années 2000. La démarche est intéressante et relativement originale puisqu’elle consiste à organiser très officiellement une confrontation des points de vue sur les régulations produites à Bruxelles et ailleurs et ayant un impact important sur l’industrie automobile. On tente pour cela de réunir au sein d’un "groupe de haut niveau " les différents responsables des politiques publiques européennes, nationales et même régionales d’une part et les différentes parties prenantes à la vie de l’industrie (constructeurs, équipementiers, distributeurs, organisations syndicales…) d’autre part. Par rapport à la première vague, la seconde a étendu la concertation en conviant en particulier l’industrie pétrolière et les distributeurs d’électricité.

Dans le vocabulaire de Bruxelles, il s’agit de promouvoir une approche "intégrée" qui conduise chacun à tenir compte de l’impact potentiel de ce qu’il déciderait hors de son champ de compétences pour anticiper sur les potentiels conflits d’objectifs qui ne manquent pas de se faire jour et qui peuvent être contre-productifs ou amener in fine à stériliser les effets de mesures prises ou à faire que des directives restent lettre morte. Coordonnée par la DG entreprise, la démarche est, en elle même, une manière de ramener les autres DG aux réalités des entreprises qui, elles, ont, de fait, à intégrer les différentes mesures qui les concernent, à les traduire en modifications de leurs technologies, de leurs produits, de leurs coûts et de leurs prix et à défendre sous ces contraintes leur compétitivité pour construire celle de l’industrie européenne.

L’argument officiel invoque la nécessité de rationaliser les régulations ou d’éviter les dérives bureaucratiques en laissant se superposer des "couches" règlementaires multiples qui finissent par être incompréhensibles et ingérables. Il s’agit en fait du problème beaucoup plus fondamental du caractère très parcellaire – très sectorisé – de l’intervention européenne qui incite chaque DG à rester dans son champ de compétence, souvent étroit et très partiel par rapport aux compétences des Etats et à celles des autres Etats et à laisser les arbitrages qui décideront du soir effectif de sa directive se rendre ailleurs, hors de son contrôle.

Cars21 casse cette logique d’une intégration européenne si mal assurée de sa légitimité et de son effectivité qu’elle ne peut pas exercer de "droit de suite" ou, pour dire les choses autrement, être conséquente. Elle préfigure ce que pourrait être une politique industrielle européenne qui rende des arbitrages, qui fasse des choix en amont au lieu de laisser les pays membres, le conseil ou les industriels le faire à leur place. En cela l’exercice doit être salué et le contenu de ses préconisations comme le processus qui y a conduit mérite toute notre attention.

Sur le premier volet, la lecture du rapport intermédiaire et de ses annexes est à la fois stimulante et décevante. Elle est stimulante car la volonté d’intégrer de manière consensuelle les dimensions environnementales, sociales et économiques est manifeste et conduit à défendre en particulier une démarche d’anticipation des effets sociaux et/ou des besoins en formations et/ou en re-qualification des hommes et des territoires des évolutions industrielles qui constituerait si elle prenait consistance une véritable avancée. Elle est décevante car on ne sort des considérations convenues sur la nécessité d’approfondir la logique d’intégration et d’unification des marchés que pour prôner une défense très contestable d’un modèle allemand étendu à toute l’Europe qui fait miroiter l’espoir d’une capacité d’exportation de l’Union vers les émergents qu’assurerait un positionnement sur le haut de gamme et la haute technologie dont le rapport note lui-même qu’il fonctionne aujourd’hui pour l’Allemagne vers la Chine mais qu’il risque de faire long feu (*).

Ceci signifie que les différences d’intérêt entre les industries nationales du sud et du nord de l’Europe comme celles qui opposent anciens et nouveaux états membres ne peuvent être mises en valeur ou en balance car les arbitrages à rendre in fine entre ceux des uns et ceux des autres ne pourront être rendus. En cela, on ne peut que constater que l’exercice et la nécessité dans laquelle il se trouve de rester consensuel ont leur limite : la politique industrielle doit être définie sans qu’il soit besoin de faire de politique c'est-à-dire de rendre des arbitrages au profit des uns et au détriment des autres.

C’est ici qu’intervient le second volet, celui qui concerne le processus et/ou le cadre de délibération. De ce point de vue, il faut d’abord souligner que la portée de l’exercice est limitée puisque ses conclusions ne sont contraignantes pour aucune des parties délibérantes, qu’il s’agisse des DG de la Commission qui siègent, des Etats ou, a fortiori, des entreprises et de leurs représentants. Tout au plus peut-on espérer que les perspectives dessinées laissent quelques traces lorsque chacun revenant dans son rôle aura à prendre des décisions. Il faut ensuite remarquer que, même dans ce cadre, la composition du groupe de haut niveau est marquée par certaines absences extrêmement parlantes. Ainsi, pour tout celui qui s’intéresse aux dossiers automobiles que traite Bruxelles, on s’attendrait à ce que la DG Competition -dont on sait combien elle pèse effectivement dans le dossier distribution mais aussi dans celui qui concerne les aides d’Etat- ou la DG Fiscalité et Union Douanière – qui a en charge la question cruciale de la fiscalité sur les carburants- soit dans le "tour de table". Le fait qu’il n’en soit rien indique que Cars21 est un exercice dont les conclusions "ne mangent pas de pain".

Décidément, le chemin à parcourir pour que se dessine une politique industrielle paraît encore bien long.

(*) On lit ainsi dans l’annexe 1 (p.49) un paragraphe où cette idée d’une bouffée d’oxygène chinoise sans lendemain est explicite.

La chronique de Bernard Jullien est aussi sur www.autoactu.com.

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