CO2, NOx, directives sécuritaires : la nécessaire hiérarchisation des contraintes imposées aux constructeurs en Europe
Soumis par Géry Deffontaines, GERPISA le 2 oct. 2017 - 13:00
Alors que l’on s’apprête en France à vivre un nouvel épisode dans l’offensive anti-diesel mardi par l’entremise du magazine "Cash Impact" sur France 2 (1), l’ACEA a publié vendredi les chiffres des immatriculations de Diesel en Europe cette année et les a accompagnés d’un commentaire qui fait état d’une certaine inquiétude au sujet de l’atteinte de l’objectif 95g par km en 2021 (2). Le problème est clair et désormais bien connu sinon du public du moins du monde de l’automobile : les constructeurs comme la Commission ont négocié cet objectif dans un contexte où le Diesel avait pris dans les immatriculations de véhicules en Europe une part majeure et devait la conserver : la focalisation sur les NOx, l’affaire VW, la multiplication des restrictions de circulation pesant sur les véhicules Diesel et le rapprochement des prix de l’essence et du Diesel convergent pour faire baisser très rapidement cette part.
Les espoirs de voir cette dé-diésélisation s’opérer au profit des véhicules électriques, hybrides ou au gaz sont pour l’essentiel déçus et c’est principalement au profit de véhicules à essence qu’arbitrent les consommateurs européens. Dès lors que, en termes de CO2 – et de consommation de carburant -, un véhicule à essence est, pour l’instant, à caractéristiques comparables, émetteur de 25% de plus qu’un Diesel, l’horizon 2021 s’assombrit et fait craindre aux constructeurs d’être demain victimes d’amendes redoutables.
Le niveau actuel des émissions des véhicules immatriculés dans l’Union est autour des 118 g et gagner les 23 g manquant en 4 ans va être très compliqué si le mouvement se poursuit voire s’amplifie comme cela a été le cas en Allemagne depuis l’été. Le fait que les modèles à succès soient des SUV, plus lourds et moins aérodynamiques que les berlines - ou les monospaces - qu’elles remplacent ternit encore le tableau. Les chiffres de l’ACEA indiquent ainsi que le Diesel aurait perdu presque 4 points dans l’Europe des 15 (hors nouveaux états membres) alors que l’essence en aurait gagné 2,7 et les véhicules à énergies alternatives 1,2. Le diesel représente désormais moins que l’essence (46,3% contre 48,5%) alors que les "alternative powertrains vehicles" comptent pour 5,3%. En nombre de voitures, les immatriculations de Diesel on baissé de 152 000, celles de véhicules essence ont augmenté de 328 000 unités et les énergies alternatives de 146 000 : très clairement ceci tire les émissions moyennes de CO2 vers le haut. La situation a fait dire à Harald Krueger, patron de BMW, à Francfort récemment que "on a clairement besoin du Diesel pour atteindre la cible CO2" alors que le patron des équipementiers européens, Roberto Vavassori, estimait qu'il était "à peu près certain que (...) nous n'atteindrons pas les 95 grammes requis" (3).
De fait, comme l’explique Automotive New Europe ce dimanche (4), depuis le sommet de Kyoto qui avait, en 1990, mis la question des gaz à effets de serre en tête de l’agenda environnemental, tout a été fait pour que la part du Diesel – qui n’était alors que de 14% - croisse car on souhaitait une réduction rapide des émissions de CO2. Pendant 25 ans, ce sont ces technologies qui ont fait l’objet des investissements les plus importants et, lorsque la question des NOx et des pollutions locales est apparue, l’accord implicite a été de chercher à préserver l’avantage CO2 tout en réduisant les émissions de particules fines puis de NOx. C’est cet accord qui s’est fissuré avec la multiplication des directives sur l’air qui ont mis les responsables des grandes villes sous pression et qui a explosé avec l’affaire Volkswagen.
Aujourd’hui, les constructeurs et équipementiers ne savent plus comment retrouver un deal gérable avec l’ensemble de ces injonctions et le communiqué de l’ACEA semble hésiter entre la revendication d’un assouplissement de la cible CO2 et/ou un maintien de celle-ci combiné avec une tentative pour "sauver le soldat Diesel", dans les grandes villes comme Münich, Stuttgart ou Paris en particulier. Volkswagen a abandonné cette option et veut laisser mourir le soldat, semble-t-il. BMW et Daimler, qui vendent encore beaucoup de diesel et pensent pouvoir terminer de les dépolluer, aimeraient que l’ACEA – que préside ces temps ci le patron de Daimler, Dieter Zetsche – les suive dans cette bataille. Les français semblent plutôt sur la ligne VW : même si PSA aurait volontiers, en d’autres temps, enfourché le cheval Diesel, ils sentent bien que, politiquement, comme le soulignait récemment Carlos Tavares, cette tentative est vaine.
Le problème est effectivement que, face au discrédit qui pèse sur la parole des industriels, l’idée même qu’il faille rendre des arbitrages ou hiérarchiser les objectifs ou les étaler dans le temps n’est plus audible. Transport et Environnement en donne des exemples à chacune de ses livraisons en développant un discours selon lequel les constructeurs savent et peuvent tout faire et ne se refusent à le faire que par appât du gain, pour gagner quelques centaines d’euros. Ainsi, ils poursuivent leur combat à mort contre le Diesel en indiquant – à travers le cas très particulier des Golf VII essence nouvelle génération et Diesel (5) - que l’on peut faire aussi bien et moins cher avec des véhicules essence qu’avec des véhicules Diesel et accréditent ainsi l’idée qu’il n’y a pas à arbitrer entre CO2 et NOx.
De la même manière, chacun a compris que les exigences sécuritaires renchérissent et alourdissent les véhicules : en 50 ans, les véhicules particuliers ont vu leur poids augmenter de 60 % (passant de 758 à 1266 kg) et si, comme l’expliquait Joao Dias en 2013 (6), "la multiplication des options à bord des véhicules pour faire face à la demande des consommateurs" a pesé, "l’augmentation des normes de sécurité" a pesé plus encore. T&E, en vertu de la même logique, ne considère pas que, sous prétexte que l’on privilégierait la réduction des émissions, il faille relâcher la pression sur le sécuritaire pour autant. L’ONG a ainsi lancé une campagne en 2016 contre l’utilisation par les constructeurs d’une mesure indirecte de la pression des pneumatiques – rendue obligatoire pour tous les véhicules homologués depuis novembre 2014 – qui permet de se conforter au règlement sans générer de surcoûts : si les constructeurs se refusent à mettre un capteur par roue pour procéder à des mesures directes, c’est pour économiser – quelle horreur ! - les 50 à 150 euros par valve (7).
Reprenant leurs arguments, Ségolène Royal affirmait ce week-end : "Il y a un lobby du diesel en France, qui fait du chantage à l'emploi" (8). Inutile d’indiquer que les problèmes de valeurs unitaires et de marges que l’on faisait sur les Diesel à la vente et que l’on ne va pas faire sur les essence, les problèmes d’activité atelier qu’impliquaient ces motorisations et leurs systèmes infernaux de dépollution ou les problèmes de stocks de VO Diesel ou de valeurs de reprise promises (9) que cette dé-diésélisation soulève ne sont pas davantage audibles : il s’agit de santé publique et de morts sur les routes et ces sordides considérations de business ou d’emplois n’ont pas leur place dans le débat. Il n’y a donc pas de réflexion ou de débat puisque dans l’univers merveilleux et chimérique dans lequel on se place alors tout est possible et, comme le dit Elzbieta Bienkowska, commissaire au marché intérieur, il ne s’agit que de "préserver les constructeurs contre eux-mêmes" (10).
Bernard Jullien
(1) http://www.francetvinfo.fr/monde/environnement/video-cash-impact-il-y-a-...
(2) http://pro.largus.fr/actualites/lacea-sinquiete-de-la-chute-du-diesel-87...
(3) http://www.lepoint.fr/automobile/reduire-les-emissions-de-co2-un-objecti...
(4) http://europe.autonews.com/article/20171001/ANE/170929879/1042/why-autom...
(5) http://europe.autonews.com/article/20171001/ANE/170929879/1042/why-autom.... L’essai comparatif de L’Argus paru 27/9 qui porte sur la version essence actuelle donne des résultats inverses : http://www.largus.fr/actualite-automobile/essai-volkswagen-golf-essence-ou-diesel-laquelle-choisir-8761395.html(6) http://pro.largus.fr/actualites/vers-un-allegement-du-poids-des-voitures...
(7) https://www.challenges.fr/automobile/actu-auto/systeme-tpms-de-surveilla...
(8) http://www.francetvinfo.fr/monde/environnement/video-cash-impact-il-y-a-...
(9) http://pro.largus.fr/actualites/diesel-la-decrue-bien-plus-rapide-en-all...
(10) http://europe.autonews.com/article/20171001/ANE/170929879/1042/why-automakers-are-at-crossroads-on-whether-to-save-the-diesel
(2) http://pro.largus.fr/actualites/lacea-sinquiete-de-la-chute-du-diesel-87...
(3) http://www.lepoint.fr/automobile/reduire-les-emissions-de-co2-un-objecti...
(4) http://europe.autonews.com/article/20171001/ANE/170929879/1042/why-autom...
(5) http://europe.autonews.com/article/20171001/ANE/170929879/1042/why-autom.... L’essai comparatif de L’Argus paru 27/9 qui porte sur la version essence actuelle donne des résultats inverses : http://www.largus.fr/actualite-automobile/essai-volkswagen-golf-essence-ou-diesel-laquelle-choisir-8761395.html(6) http://pro.largus.fr/actualites/vers-un-allegement-du-poids-des-voitures...
(7) https://www.challenges.fr/automobile/actu-auto/systeme-tpms-de-surveilla...
(8) http://www.francetvinfo.fr/monde/environnement/video-cash-impact-il-y-a-...
(9) http://pro.largus.fr/actualites/diesel-la-decrue-bien-plus-rapide-en-all...
(10) http://europe.autonews.com/article/20171001/ANE/170929879/1042/why-automakers-are-at-crossroads-on-whether-to-save-the-diesel
La chronique de Bernard Jullien est aussi sur www.autoactu.com.
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