Carlos Tavares nostalgique d'une époque révolue + clarifications ex post

Raison sur le fond, tort sur la forme?
L’interview que Carlos Tavares a donné au Figaro visait en apparence à alerter les politiques et les citoyens sur les dangers encourus par nos économies et nos industries en laissant les autorités européennes fixer à l’industrie automobile pour la période 2021-2030 un cap de réduction des émissions de CO2 de -37,5%.
 
Prenant les politiques de haut et fort de la réussite du groupe qu’il conduit, il n’hésite pas à taxer leurs votes et discussions "d’amateurisme". Feignant de ne penser qu’au collectif, il met en garde les députés et les gouvernements sur les conséquences qu’auront selon lui pour l’emploi et le commerce extérieur européen la décision désormais arrêtée d’obliger les constructeurs à électrifier massivement leurs immatriculations contre la volonté des consommateurs dont il se veut le porte-parole. 
Il donne ainsi l’impression de vouloir obtenir, comme président de l’ACEA, ce que les constructeurs américains ont obtenu de l’administration Trumplorsque celle-ci a nommé à la tête de l’EPA Scott Pruit et l’a laissé remettre en cause le CAFE (Corporate Average Fuel Economy) décidé en 2011 pour 2025 en considérant que, sous Obama, l’EPA ”avait fait des hypothèses pour définir les normes qui ne cadrent pas avec la réalité et qui l’ont amenée à choisir des normes excessivement exigeantes ”. 
 
Comme il le dit et le sait lui même, le problème n’est pas qu’il ait raison ou tort car, indéniablement, les questions industrielles et technologiques qu’il soulève sont de vraies questions. 
Le problème est de savoir s’il peut être entendu au delà du cercle des militants de l’automobile ou de l’industrie.
Alors qu’il se plaint de l’hystérie militante qui aurait pris la place de la raison depuis l’affaire Volkswagen, il adopte une posture qui ne peut que nourrir le sentiment dans l’autre camp que les constructeurs sont décidément indécrottablement méprisants de l’environnement et de la démocratie et prêts à tout – y compris au chantage à l’emploi – pour qu’une décision qui leur disconvient soit remise en cause.
 
C’est ainsi qu’a réagi Karima Delli qui, interrogée par Nabil Bourassi de la Tribune, sur sa réaction aux propos tenu par C. Tavares s’est dit "en colère parce que M. Tavares ose utiliser le mot "amateurisme" en pointant les législateurs que nous sommes. Or c'est bien du sien dont il est question dans cette affaire des émissions de CO2. Il n'a pas été capable d'investir dans des moteurs propres et basses émissions plus tôt, alors que les technologies existent depuis longtemps". 
De fait, comme l’a déjà noté Autoactu, il n’est pas fortuit que le triptyque rachat de Opel/dédiésélisation/SUVéisation de ses gammes mette PSA, selon les calculs faits par PA Consulting, en assez fâcheuse posture pour le premier rendez-vous CAFE fixé à 2021. 
De fait, ceci obère assez largement la crédibilité du dirigeant du groupe qui peut difficilement être audible lorsqu’il se plaint de ce que, depuis l’affaire Volkswagen, on ait tendance à mettre tous les constructeurs dans le même sac. 
La réalité est que la stratégie développée par PSA n’a pas fait de la réduction des émissions de CO2 une priorité et que le cap pris à Bruxelles lui disconvient plus qu’à d’autres.
 
Vus de la fenêtre de Karima Delli ou de Transport & Environnement, les propos de C. Tavares indiquent clairement que le dialogue avec l’ACEA ne peut être qu’un dialogue de sourds tant la plupart des constructeurs semblent se refuser à prendre enfin au sérieux les questions climatiques et de santé publique. 
C’est au fond cela qui a changé depuis 2015, les politiques, à Bruxelles, à Berlin ou à Paris, qu’ils soient écologistes ou non, ont eu – non sans raisons - le sentiment qu’ils "se faisaient balader" par les constructeurs et leurs experts depuis des années et qu’il était temps, sur tous les sujets, de les écouter un peu moins et de leur imposer un peu plus. 
Le fait même que, au lieu d’accepter la décision prise démocratiquement, C. Tavares s’emploie à en contester le bien fondé plus qu’à tenter de structurer une gestion collective intelligente semble indiquer qu’il est resté dans "l’ancien monde" ou qu’il aimerait y revenir. 
Alors qu’il faudrait désormais être pro-actif comme il prétend à certains moments l’être en disant qu’il ne peut qu’accepter les décisions prises par le politique, C. Tavares ne peut s’empêcher d’instiller le doute qui permet de saper la légitimité des dites décisions et qui, in fine, propose de revenir dessus dans une posture qui est, au sens propre du terme, "réactionnaire".
 
Karima Delli, dans son interview, ne nie pas l’ampleur des questions de mutations industrielles que le récent accord représente. Elle indique que l’UE, les Etats et les industriels ont 11 ans pour s’organiser pour y faire face et qu’elle proposera que, dès le début de la prochaine mandature européenne, "un sommet de la reconversion de l'industrie automobile européenne" soit organisé. 

Elle invite C. Tavares à débattre devant le Parlement européen en indiquant : "Il ne faut pas avoir peur de parler de tous les sujets. Y compris celui du cycle de vie de la voiture électrique." Très clairement, elle s’inscrit - et demande à C. Tavares de s’inscrire - dans le "nouveau monde" celui qui s’est structuré depuis l’automne 2015. 

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Carlos Tavares et Karima Delli : clarifications sur notre chronique d’hier

Je n’ai pas pris l’habitude de répondre aux éloges ou, plus souvent, aux reproches que l’on peut déverser sur mes propos et sur moi même. Néanmoins, puisqu’il y a méprise sur le sens de ce que j’ai écrit, je me sens obligé cette fois d’apporter quelques clarifications aux propos que j’ai tenus hier dans ces colonnes.

Mon propos n’était ni de donner raison à Carlos Tavares ni de donner raison à Karima Delli sur le fond. Il s’agissait plutôt de livrer une analyse politique et d’indiquer que le rapport des forces en Europe s’est modifié depuis quatre ans en la défaveur de l’industrie et en la faveur des ONG, des écologistes et des maires des grandes villes. Le discours de ceux que certains d’entre les commentateurs des articles de Autoactu se plaisent à appeler les "khmers verts" qui pouvait apparaître comme très excessif il y a quelques années est de plus en plus majoritaire. Il est d’ailleurs repris assez systématiquement par les personnels politiques non étiquetés écologistes, à droite et à gauche. Ces derniers, parfois parlementaires de longue date, ne manquent pas de se souvenir que, dans le passé, sur tel ou tel dossier, ils n’ont pas eu le sentiment que notre industrie préférée était, avec eux, d’une parfaite transparence.
 
Parce que je connais un peu ce monde et qu’il m’est arrivé de croiser en diverses occasions des politiques en charge de ces dossiers, j’ai pu mesurer cette évolution et me rendre compte que ni les constructeurs, ni les organisations syndicales, ni les élus locaux qui partagent – comme c’est mon cas d’ailleurs – une large part des inquiétudes exprimées par Carlos Tavares ne sont aujourd’hui à même de se faire entendre sans prendre acte de ce fait politique. Je cite Karima Delli pour indiquer comment ces acteurs, aujourd’hui dominants, interprètent la situation. Je ne lui donne ni raison ni tort mais indique comment elle - qui est du côté des vainqueurs – interprète les propos tenus par C. Tavares.
 
C’est précisément parce que je suis convaincu que le saut que l’on demande à l’industrie d’entreprendre est extrêmement périlleux et requerra une mobilisation et une intelligence collective très fortes que je m’inquiète de la stratégie politique la plus appropriée. J’ai simplement voulu indiquer que si l’on intègre la réalité politique de 2019, ladite stratégie doit donner acte aux politiques de ce que leurs desideratas sont légitimes même si on pense le contraire. Je ne m’en réjouis pas. Je le constate et suggère simplement qu’il est plus judicieux de jouer le coup ainsi que d’espérer revenir à une configuration antérieure dont je constate qu’elle n’est plus. C’est ce que l’on pourrait appeler de la realpolitik : en prenant acte de ce dont les institutions européennes, a priori démocratiques, ont décidé et en feignant éventuellement de trouver le défi passionnant, la profession sera mieux à mêmes d’obtenir les soutiens et aménagements dont elle a besoin qu’en s’entêtant à regretter qu’elles n’aient pas été plus "bagnolardes".  
 
A choisir cette dernière attitude, on court le risque de maintenir les débats dans une espèce d’hystérie radicale où chacun veut la victoire totale. Puisque de ce jeu le camp d’en face semble sortir gagnant, il est temps, c’est ma conviction, de changer de ton voire de terrain pour que les arguments raisonnables associés aux réalités technologiques, économiques, industrielles et sociales retrouvent quelques chances d’être entendus.
Bernard Julien
 

 

La chronique de Bernard Jullien est aussi sur www.autoactu.com.

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