Frugalité, flottements et frictions: Pierre Bézier et les origines
d’une forme inédite d’automatisme (Renault, 1933-1939)
Alain P. Michel
Pierre Bézier (1910-1999) est une figure remarquable mais peu connu de l’histoire des techniques automobiles du XXème siècle. Le grand public ne sait pas grand chose de cet ingénieur français qui a pourtant été tour à tour, artisan en France d’une forme originale d’automation (chaînes transfert), promoteur des commandes numériques (robots), puis père, à l’échelle mondiale, de l'informatique industrielle (CFAO). Il est encore aujourd’hui incontournable dans le milieu des informaticiens pour les « courbes et surfaces » auxquelles il a donné son nom et qui ont « redessiné » le monde virtuel. Il est illustre parmi les ingénieurs de l’automobile et des arts mécaniques qui ont créé un prix en son honneur. Il a marqué les cadres et techniciens de Renault qui l’ont connu au cours de sa longue carrière (1933-1975) chez le constructeur automobile. Sa thèse de mathématiques, soutenue au début d’une retraite active, a été un coup de tonnerre dans le milieu des sciences appliquées. C’est un illustre méconnu. Le présent papier souhaite aborder la première étape de la carrière de Pierre Bézier depuis son arrivée chez Renault en mars 1933 jusqu’à son départ pour la guerre en août 1939, période au cours de laquelle le jeune ingénieur met en place des formes originales d’automatismes. Partant de son témoignage, de ses écrits et de ses archives, l’enjeu est de « recontextualiser » son récit dans le cadre de l’histoire plus générale de la machine outil française. D’abord outilleur à l’Atelier d’outillage central (AOC) en période de crise, Bézier apprend à trouver des solutions « économes ». Rejoignant le Bureau d’études d’outillages mécaniques (BEOM), il profite des alternatives ouvertes par le marché de la machine outil. Devenu chef de groupe il s’engage dans un combat pour remplacer les mécanismes d’avance hydraulique à commandes cinématiques par des systèmes électromécaniques à commandes séquentielles. Ce sont ces installations qui sont à l’origine de la tête électromécanique (TEM) équipant les machines transfert de Renault, innovation de rupture qui sera conçue pendant l’Occupation et mise en place dans l’immédiat après guerre. L’exposé analyse les racines d’une activité innovante en replaçant les principales réalisations de ce grand ingénieur dans le contexte international des extraordinaires bouleversements industriels de son époque et, tout particulièrement, dans le domaine de la machine-outil.
Alain P. Michel est maître de conférences de l'Université d'Evry-Val d’Essonne et chercheur au Laboratoire d’histoire économique, sociale et des techniques (LHEST, EA 4525). Chercheur associé au CAK- CRHST (Centre de recherche en histoire des sciences et des techniques, UMR 8560). Il est à la fois historien des techniques et spécialiste des sources visuelles. En effet, il développe une approche sociale des techniques de la production industrielle au XXe siècle principalement autour du cas de l’industrie automobile : travail à la chaîne, automatisation, conception et fabrication assistées par ordinateur (CFAO), robotique et informatique. En parallèle, il questionne l’apport des sources visuelles (dessins, photographies, films) en histoire du travail et de ses représentations. Il a publié Travail à la chaîne : Renault 1898-1947 (Boulogne-Billancourt, Editions ETAI, 2007) qui reprend une partie de sa thèse d'histoire des techniques de l'EHESS, sous la direction de M. Patrick Fridenson : Les images du travail à la chaîne dans les usines Renault de Boulogne-Billancourt (1917-1939). Une analyse des sources visuelles : cinéma, photographies, plans d'implantation, 2001. Il vient de terminer un programme de recherche autour de reconstitution virtuelle de plusieurs installations du patrimoine industriel (« Usines 3D », ANR Corpus 2007-034), qui utilise les outils informatiques et la technologie des images de synthèse pour modéliser des installations et des bâtiments importants du patrimoine industriel. Une reconstruction virtuelle de lieux de travail, au service de la recherche historique et de la valorisation patrimoniale. Il a publié MICHEL Alain P., Travail à la chaîne : Renault 1898-1947, Boulogne-Billancourt, Editions ETAI, juin 2007, 192 p. 450 documents. ; MICHEL Alain P. (dir.), Renault Cléon, 50 ans de fabrications mécaniques, Boulogne-Billancourt, ETAI, 2008, 192 p.