Renault : entreprise innovante par nature ou par accident ?

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La chronique hébdomadaire de Bernard Jullien directeur du Gerpisa.

Les jours passés ont été marqués en France par une forte présence médiatique de Dacia. Le 4x4 Duster est maintenant disponible à la vente et la campagne de publicité réaffirmant les "valeurs" de la marque est apparue sur les écrans. La Sandero finit le mois de mars à la seconde place du "hit parade" et offre au GPL une part de marché que ses promoteurs n’espéraient plus en France. En dehors de la légitime mobilisation médiatique que suscite l’engagement de Renault-Nissan dans le développement à grande échelle du véhicule électrique, le renouveau de Renault est là et il s’est opéré en une demi-décennie. Puisque le lancement commercial des VE est encore à venir et que ses succès annoncés par la publicité faite autour des accords avec les Etats, les collectivités ou les grandes flottes restent hypothétiques, s’intéresser à Dacia présente l’avantage d’exhiber des éléments tangibles de ce qui permet à Renault d’engranger d’incontestables succès.

Le maître mot ici est bien sûr innovation. Celle qu’a représentée Logan n’était certes pas celle que le marketing automobile a l’habitude de tenter de promouvoir à grands frais en vantant la sophistication des véhicules et de leurs équipements, la sécurité qu’ils offrent et/ou les qualités dynamiques dont elles font preuve. Au contraire presque, Logan crachait dans cette soupe commerciale en posant au fond deux questions aux clients et aux collègues - en interne comme chez les concurrents - : jusqu’à quel point cette sophistication est nécessaire ? ; qui est prêt à payer combien pour tout cela ? Or, il se trouve que, en 2005, ces questions de bon sens avaient disparu des cartes cognitives du management automobile qui était pris depuis deux décennies dans une forme de fuite en avant qui convainquait chacun qu’il fallait renouveler vite des gammes qu’il fallait sans cesse élargir. Parce que d’une génération à l’autre on améliorait à la marge toutes les caractéristiques qui pouvaient l’être sans se soucier de ce qu’était le consentement à payer des consommateurs pour obtenir un mieux qu’il peinait à identifier, le même management voyait effectivement les gammes vieillir très rapidement et s’empressait de nourrir la machine à augmenter les prix certainement et la qualité recherchée par les clients beaucoup moins assurément.

Le résultat est connu : les clientèles de particuliers suivaient de moins en moins les constructeurs et la part des ventes réalisées auprès d’elles allaient décroissantes et conduisait une majorité sans cesse plus large de ménages à s’équiper en VO. Les clients du neuf restant, concentrés dans des catégories de ménages de plus en plus étroites, vieilles et riches étaient dès lors tellement courtisés par les constructeurs et leurs réseaux qu’ils pouvaient obtenir d’eux à peu près ce qu’ils voulaient et laminaient ainsi par leurs exigences les marges que chacun pouvait espérer faire. Sans qu’elle ait été pensée explicitement en ces termes, la Logan a représenté dans ce contexte une triple innovation : d’abord, sur le plan de l’ingénierie et des méthodes industrielles, en se fixant des objectifs ambitieux en termes de prix de vente, le modèle interdisait à l’organisation Renault de continuer de se laisser porter par le courant du "business as usual" ; ensuite, sur le plan du marketing produit, pour les mêmes raisons, il fallait définir ce que le management de Renault appelle maintenant le "juste nécessaire" ce qui ne signifie rien d’autre que l’on acceptait de devoir rendre à nouveau des arbitrages ; enfin, sur le plan commercial, en France ou en Europe Occidentale, la Logan conduisait à changer de cible et à viser les acheteurs de VO et, même, les acheteurs de VO relativement anciens.

La Logan visait les clientèles de l’ancien bloc communiste d’abord et le management de Renault lui voyait un avenir ensuite en Iran, en Inde et dans le Maghreb. L’hypothèse faite par Schweitzer était que des positions compétitives fortes pouvaient être construites sur ces marchés en concevant un modèle spécifique qui s’affranchisse des contraintes commerciales qui pèsent sur les marchés mûrs pour pouvoir être fabriqué près de ses marchés, offrir des prestations adaptées à des marchés de premier équipement où les infrastructures (routières et en après-vente) sont de médiocre qualité et être notoirement moins chère que les modèles des grands constructeurs dédiés ou non à ces marchés ou de bien  meilleure qualité que les très anciens modèles "abordables" qui s’y vendent souvent encore. Ce n’est qu’en marchant que le potentiel commercial de Logan et sa capacité d’innovation dans le sens énoncé a été identifié et exploité. Il conduira ensuite à concevoir Sandero pour et avec le Brésil et Duster pour le marché russe d’abord tout en leur prévoyant, à raison pour l’instant, des débouchés commerciaux conséquents en France et ailleurs en Europe Occidentale.    

Ceci n’invalide pas la thèse de l’innovation tout au contraire. L’histoire de Logan et de ses sœurs est celle d’une excellente bonne surprise pour Renault chez nous qui est en train d’amener aujourd’hui Dacia à devenir pour longtemps sans doute la première marque importée. C’est aussi l’histoire de déboires majeurs en Inde ou en Iran. Des deux côtés, Renault a eu à gérer le fait que, en innovant par rapport à ses propres pratiques et expériences comme par rapport à celles de la concurrence, l’entreprise faisait un saut dans l’inconnu et devait dès lors accepter la fragilité de ses plans ou prévisions qui, par définition, reposaient sur des bases fragiles.

Toute la question est alors de savoir rebondir si le potentiel a été sous-évalué, se replier et revoir sa copie si l’inverse est vrai et, progressivement, formaliser l’expérience acquise pour la capitaliser et prendre devant la concurrence une avance durable. L’histoire des monospaces chez Renault ressemblait déjà à cela. Celle de la "gamme entry" a renoué les fils de l’innovation et convainc pour l’instant dans sa faculté à gérer les surprises. Reste à espérer que les immanquables bonnes et mauvaises surprises que le VE va impliquer voient les équipes Renault faire preuve de la nécessaire inventivité réactive. De ce point de vue, les deux expériences se différencieront par au moins un trait majeur : Logan et ses sœurs se sont développées et ont été gérées dans les marges de l’organisation Renault ; la gamme VE est conçue et est promue beaucoup plus près du cœur de l’entreprise dont elle absorbe une large part de l’énergie et des facultés d’investissement. L’expérience nous dira donc si Renault est une entreprise innovante par vocation ou par accident.

La chronique de Bernard Jullien est aussi sur www.autoactu.com.

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