Séance introductive: les enjeux de l'électrification de l'industrie automobile

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Compte Rendu / Report

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Compte rendu de la journée du Gerpisa, Number 275, CCFA (2023)

Notes:

Tommaso Pardi, Gerpisa, CNRS-IDHES

Texte complet:

La raison principale de l’électrification sont les émissions de carbone. : les objectifs de neutralité carbone ont pour but de limiter les émissions de CO2. Et parmi tous les secteurs, le secteur des transports représente la moitié des émissions. La Commission européenne a décidé de faire la décarbonation l’axe principal du « green deal ». Le paquet législatif est très ambitieux, notamment avec le fit for 55.

Fit for 55 vise tout particulièrement le parc automobile, ce qui implique la fin du moteur thermique en 2035. L’UE s’est donc engagée dans une voie accélérée d’électrification. C’est une trajectoire unique au monde, car même la Chine ne s’est pas engagée dans cette voie.

La solution proposée par la commission européenne est la vente des véhicules électriques neufs. Cependant, le parc automobile a augmenté, et la vente de véhicules neufs stagne. En 2021, la vente de véhicules neufs a été de 10 millions. Le renouvellement du parc est de plus en plus lent. Il faut 26 ans en 2021 pour renouveler le parc automobile.

Les pays européens ne sont pas égaux pour verdir leur parc automobile. En 2021, le fossé entre Europe de l’ouest et Europe de l’est s’est creusée, mais aussi entre Europe du Nord et Europe du Sud. Les pays de l’est ont développé une grosse industrie automobile destinée à l’exportation. Le taux de renouvellement du parc dans ces pays est de 48 ans.
Il y a une polarisation de l’accès aux véhicules neufs. Trois quarts des véhicules de plus de 20 ans se trouvent en Europe centrale, orientale et du sud. Les PECO s’équipent de véhicules d’occasion, ce qui fait que ces pays voient ses émissions exploser. Il y a donc un enjeu environnemental de rendre accessibles les véhicules neufs dans les pays de l’est et du sud, et dans les ménages pauvres dans les pays de l’ouest.

En effet, les VE sont surtout achetés dans les pays du Nord, scandinaves, et dans des pays d’Europe de l’ouest et le Royaume uni. Pourtant, les pays qui sont le plus émetteurs achètent peu les véhicules électriques.

Le Fit for 55 : une bombe à retardement ? Une extension des marchés carbon au transport : le « droit à polluer » est marchandisé. Les pollueurs vont acheter le droit à polluer correspondant à leur niveau de pollution. À partir de 2026, on aura un marché carbone pour le carbone des véhicules. On peut imaginer un scénario où les pays du nord vendront le droit de polluer aux pays les plus pauvres et les plus polluants. Cependant, un État ne peut pas sortir du marché de carbone, sans sortir de l’UE.

À ceci s’ajoute qu’il y a une montée en gamme des véhicules : ceux-ci deviennent plus lourds, plus puissants, et donc plus chers. Pourquoi ? L’appétit des constructeurs pour les véhicules qui ont plus de marges : vendre moins, pour vendre mieux ? Mais ceci n’explique pas tout car la réglementation européenne a un rôle dans cette « premiumisation ». À partir de 1992, on assiste à une prise de contrôle de la régulation par les allemands. On assiste à une inflation normative : on introduit dans tous les véhicules des normes qui ne concernaient que les véhicules premium.

La norme CO2 aurait dû compenser ceci, car les véhicules premium produisent plus de CO2. Cette régulation aurait dû réduire la taille des véhicules. Or c’est le contraire qui s’est produit. Le lobby automobile allemand a contribué à ce que la réglementation porte sur les émissions de CO2 par poids. Tous les constructeurs se sont mis à suivre la même trajectoire de premiumisation. Pourtant, après le dieselgate a fait que l’électrification est le seul moyen pour réduire les émissions.

Le marché généraliste est devenu de plus en plus concurrentiel (avec des nouveaux entrants, notamment coréens), en même temps qu’il est devenu de plus en plus petit. La part des généralistes français s’est donc réduite.

Avec fit for 55 la technologie change, mais la dynamique du marché automobile reste, la montée en gamme reste. Ce n’était pourtant une fatalité que le VE soit un véhicule premium. Or, l’électrification renforce la premiumisation des véhicules particuliers. Le véhicule à batterie a connue une montée en gamme accélérée : presque 600 kg lui ont été ajoutés.

L’électrification favorise en outre les constructeurs qui se spécialisent dans le premium. De la même façon, avec l’électrification, des constructeurs étrangers maîtrisent la technologie, comme les chinois, ou Tesla. 50 % du véhicule à batterie est déjà contrôlé par des constructeurs étrangers. De plus, un des avantages des constructeurs chinois est l’entrée en gamme. Depuis 2019, le prix des véhicules particuliers a augmenté 3 000 euros en moyenne. Cette augmentation est tirée par l’électrification. Paradoxalement, les véhicules les plus subventionnés sont les plus chers, ce qui revient à subventionner l’achat de véhicules destinés à des ménages aisés.

La situation est critique pour l’industrie automobile française (malgré le fait que les constructeurs ont affiché des profits record). Le taux d’utilisation des capacités est au plus bas.

À cela s'ajoute la question des matériaux critiques : en 2022 le prix moyen d’une batterie a augmenté, au lieu de baisser. L’enjeu est alors de savoir quel constructeur aura accès à ces matériaux rares, alors que la Chine maîtrise l’approvisionnement des matériaux rares. C’est-à-dire que malgré les nombreuses annonces de création de gigafactories, cela reste des projets powerpoint. Le but reste de capter des capitaux, avec peu de réalité industrielle derrière. L’essentiel de l’approvisionnement de batteries en Europe dépend de fabricants asiatiques installés en l’Europe de l’est. À cela s’ajoute le choc de l’IRA aux EEUU, qui ferme le marché de la batterie dans le pays. Ce qui fait que l’ensemble des investissements chinois se sont redirigés vers l’Europe.

Et en France ? Un des enjeux de l’électrification est de rapatrier la production en France. Il y a une fracture importante en France sur la question de l’accès à la mobilité. La production de VP de la France a chuté, par rapport à d’autres pays. L’industrie automobile est à la croisée des chemins. Soit elle réussit l’électrification, ce qui permet de maintenir la production et les emplois, soit la trajectoire actuelle aboutit au déclin de l'industrie automobile.

 

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