Stellantis: pendant la transition, les délocalisations continuent!
La chronique hébdomadaire de Bernard Jullien Ancien directeur du Gerpisa, maître de conférences en économie à l'Université de Bordeaux et conseiller scientifique de la Chaire de Management des Réseaux du Groupe Essca.
L'annonce la semaine du 14 novembre d’un doublement des capacités de production de l’usine Stellantis de Kenitra a été présentée, comme l’annonce du projet de construction de l’usine il y a 7 ans, comme destinée à statisfaire les besoins africains et moyen-orientaux. Elle est cependant une réaffirmation par le groupe d’un cap stratégique clair : la mise en concurrence des sites, des salariés et des Etats.
Prolongeant le discours qui est le sien depuis que le projet de construction de l’usine de Kenitra a vu le jour, le management de Stellantis a présenté la semaine dernière son projet de doublement des capacités d’assemblage de l’usine comme étant destiné à permettre à l’entreprise de tenir dans l’expansion des marchés africains et moyen-orientaux une place de premier plan.
Les partenaires marocains essayent de ne pas trop nuire à cette stratégie de communication mais sont plus explicites sur l’ambition réelle du projet en mettant en avant la principale vertu économique que cet investissement aura, au-delà des emplois créés directement et indirectement : l’exportation. Ainsi, le ministre de l’industrie et du commerce extérieur, Ryad Mezzour, se félicitait en mai de l’excédent automobile croissant enregistré. Il affirmait : "En termes de volume, le Maroc est le premier exportateur de voitures vers l’Union européenne devant la Chine, la Corée, le Japon, la Turquie... La voiture la plus vendue en Europe est fabriquée au Maroc."
Il ne s’agissait pas de la Sandero mais bien de la Peugeot 208 et, lorsqu’il en est question, les autorités n’indiquent à aucun moment que "l’écosystème" que, à grands renforts de subventions, ils s’évertuent à structurer permet d’approvisionner le marché local. Eux sont explicites et l’importance que les ports ont dans leur projet l’indique : les sites d’assemblage marocains sont – pour l’instant et pour longtemps sans doute – des sites qui sont, pour la très grande majorité des volumes qu’ils génèrent, des sites d’exportation vers l’UE.
Rappelons que, entre son usine de Casablanca et celle de Tanger - dont le site marocain laquotidienne.ma nous dit que "la quasi-totalité de la production est exportée vers 70 destinations à l’étranger notamment des Renault Express, des Dacia Lodgy et des Sandero" -Renault a une capacité d’assemblage au Maroc d’environ 400.000 voitures.
Si l’on y ajoute les capacités actuelles de Kenitra et celles à venir, ce seraient à terme 800.000 véhicules qui sortiraient des chaines marocaines. Sur les dernières années, le marché marocain des VP n’a pas dépassé les 155.000 immatriculations et l’OICA situe le marché africain en deçà de 900.000 véhicules.
Même en ajoutant 300.000 VUL, on n’atteint pas les 1,3 million. Selon le site de Renault, en incluant le Moyen-Orient, on peut situer le marché actuel à 2,2 millions mais le Maroc n’est pas le seul producteur et une large part des besoins de ces régions est satisfait par des importations.
La présentation en 2015 du projet de Kenitra comme destiné à la région comme celle du doublement de capacité en 2022 a besoin de la très grande complaisance de la presse pour faire illusion.
Ainsi, ladite presse reprend le communiqué de Stellantis qui prétend que, selon les dire de Carlos Tavares, le groupe mise sur "l'Afrique et le Moyen-Orient comme un marché en croissance (...) et un troisième moteur pour Stellantis, aux côtés de l'Amérique du Nord et de l'Europe" et dit ambitionner sur place "une place de leader sur le marché et une marge à deux chiffres". L’article souligne tout de même que : "L'implantation de Kénitra au bord de l'Atlantique mais à 200 kilomètres du détroit de Gibraltar lui offre une position centrale pour exporter vers l'Afrique sub-saharienne, le Moyen-Orient mais aussi le sud de l'Europe" (nous soulignons). Certains articles vont même jusqu’à présenter cette expansion en Afrique et au Moyen Orient comme permettant à Stellantis de "se passer de la Chine".
La réalité est plutôt que, comme les sites de Tanger et de Casablanca pour Renault, le site de Kenitra est clairement inscrit dans l’organisation industrielle européenne de Stellantis. Pour l’instant, Stellantis n’a pas de marque équivalente à Dacia mais les anciens Renault-Nissan, C. Tavares inclus, sont bien convaincus que dans les émergents comme en Europe, pour les véhicules thermiques puis pour les véhicules électriques, il faut développer des projets qui "nativement" soient destinées à permettre de mettre en catalogue des offres qui sont en dessous de ce que l’on proposera dans la continuité des e-208, e-2008, Corsa et Mokka électriques.
Dans la mesure où le segment A a été – à tort ou à raison - perçu comme suffisamment impraticable pour que ne soient pas reconduites les offres de 108 et C1, cousines PSA de l’Aygo de Toyota qui elle a une petite sœur, Stellantis a besoin en conception comme un production de structurer une offre "entry". De grandes ambitions étaient nées de ce côté et semblent avoir été réduites mais ce qu’il en reste est maintenant plus précis.
D’évidence, c’est autour de Citroën - dont le patron, Vincent Cobée, a été en charge chez Nissan de la marque Datsun qui avait vocation à faire ce job - que cet axe stratégique s’est structuré. Aujourd’hui, en exploitant les travaux qui ont été en partie sous-traités semble-t-il à Tata Consulting Engineers, une société d'ingénierie, appartenant à la holding Tata, est née une C3 indienne et brésilienne.
C’est selon ce que croyait savoir L’Argus en février ce "CMP entry" qui sera adapté pour le marché européen. Stellantis aurait attribué en début d’année ce programme à Trnava, qui sera aussi chargé en 2023 de produire la future Citroën C3 européenne (CC21), ainsi que les remplaçants des Citroën C3 Aircross (CC24) et Opel Crossland (OV24) en 2024. Fiat emprunterait aussi cette plate-forme à faibles coûts pour les futurs SUV Multipla en 2024 et Panda en 2025.
Avec le transfert à Saragosse de la version électrique de l’actuelle 208 restylée et l’attribution au même site en 2026 des futures Corsa et 208 électriques sur la base de la nouvelle plateforme STLA, un assez vaste jeu de chaises musicales semble s’organiser et produire 400.000 véhicules à Kenitra s’inscrit dans ce contexte bien plus que dans celui d’une montée en puissance rapide de la production de Stellantis à destination des marchés africains et moyen-orientaux.
Saragosse va jouer, chez Stellantis, le rôle de pionnier du tout électrique dans le segment B que jouera Douai chez Renault. Pour le CMP entry qui ne s’électrifiera qu’un peu plus tard, Trnava sera pilote mais Kenitra jouera un rôle croissant. Trnava, qui a déjà l’expérience et qui profitera de sa proximité relative avec le site de production de batteries du chinois Svolt (filiale de Great Wall) en Allemagne pour prendre en charge les premiers assemblages des électriques issus du programme Smartcar mais Kenitra sera à quasi-parité.
Comme les salariés roumains autrefois avaient été mis en concurrence avec ceux de Tanger, ceux de Trnava ont maintenant, ils l’ont compris, des raisons de modérer leurs ardeurs revendicatives : les salariés français ne sont plus les seuls à avoir des raisons de s’émouvoir des annonces d’investissement à Kenitra.
Quant à Bruno Le Maire qui évoquait encore il y a quelques semaines la possibilité de voir une e-208 assemblée en France, il doit comprendre que, à la différence de ceux qui concernent le commerce, les plans industriels de C. Tavares et de ses équipes pour le B électrique ne passent pas par la France.
22/11/2022
La chronique de Bernard Jullien est aussi sur www.autoactu.com.
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