Une mise en perspective européenne de l’électrification accélérée de l’industrie automobile

Type de publication:

Compte Rendu / Report

Auteurs:

Source:

Compte rendu de la journée du Gerpisa, CCFA (2022)

Notes:

Tommaso Pardi (Gerpisa, CNRS-IDHES)

Texte complet:

La présentation de Tommaso Pardi s’appuie sur le rapport qu’il a rendu à l’ETUI. On assiste à une prolifération de rapports sur l’électrification, mais peu parlent de la cause de l’électrification. Il y a le réchauffement climatique, bien sûr, mais la réglementation européenne a joué un rôle central dans ce processus d’électrification.

Les emissions du secteur des transports ont tendance à augmenter, alors que l’UE s’est donné pour objectif une réduction importante des émissions. Le Green Deal qui acte la fin du moteur thermique a pour but de ramener le secteur automobile sur la « bonne voie » en matière d’émissions. Ceci fait que l’effort du secteur automobile doit être deux fois plus importante.

Il y a une augmentation de 32 % du parc entre 2000 et 2019. Il y a un vieillissement du parc, et auquel s’ajoute des nouvelles voitures, qui sont beaucoup moins vertes que ce qu'on pense. Dès que la réglementation est devenue contraignante, les constructeurs automobiles ont eu recours à des optimisations légales et illégales (dieselgate) des tests d’homologation des émissions. C'est ce décalage entre émissions et réglementations qui permettent de comprendre la situation actuelle d’électrification à marche forcée de l'industrie automobile.

La principale technologie utilisée par l’industrie automobile pour atteindre ses objectifs d’émission était le diesel. Mais les ventes de véhicules diesel baissent à partir de 2017. C’est pour cela que l’industrie automobile choisi de produire massivement des véhicules électriques. Ainsi, en 2021, le véhicule électrique a atteint 19 % de part de marché, il y a une multiplication par sept des parts de marchés en deux ans pour le véhicule électrique. C'est très rapide. De plus, tout forme de taxation extraordinaire du carbone contribue à l’accélération de l’électrification.

Tout fait que l’électrification devient indispensable et incontournable. En 10 ans, l’industrie doit réduire drastiquement ses émissions. Dès 2030, le véhicule thermique doit disparaître, pour être éliminé entièrement vers 2035.

Mais, pourquoi l’industrie automobile ne s'est pas mise en conformité des normes européennes, et s’est exposée au risque du dieselgate ? La réponse courte est la montée en gamme de la voiture européenne. La masse du véhicule, la puissance du moteur, etc., font que les prix des véhicules augmentes. Les véhicules sont devenus plus grands, plus lourds, plus performants.
Cette augmentation est équivalente à une augmentation de 32 % des émissions. Mais, en même temps, les véhicules devaient réduire de 33 % leurs émissions. L’industrie automobile a fait quelques efforts, mais pas suffisants pour compenser la montée en gamme des véhicules.

Pourquoi l’industrie automobile s'est-elle engagée dans la direction opposée à celle qu'elle devait prendre ? Elle aurait dû réduire la masse et la puissance des véhicules. La réponse longue est différente. Pour cela, on peut mobiliser le concept de « conception of control » (Fligstein, 2001). Les marchés sont des constructions politiques qui reposent sur des institutions clef, comme les droits de propriété, ou les règles d’échange (quand et comment un produit peut être produit et vendu). Ces règles sont déterminées par les acteurs dominants, car le but est de reproduire la position des acteurs dominants. Mais des conceptions de contrôle concurrentes peuvent intervenir par la main d'acteurs nouveaux ou étrangers.

Il faut revenir à l’histoire des régulations dans différents pays.
EEUU : les véhicules sont très polluants et le problème du smog se pose très tôt. Dès les années 1960, il y a des régulations, comme le clean air act, dans le but de réduire les émissions. Ainsi, l’essence sans plomb devient obligatoire dès 1969.
Le choc pétrolier déplace la demande automobile vers des véhicules plus compacts et plus économes en essence car il faut réduire la consommation de pétrole. Les véhicules japonais qui consomment moins d'essence sortent gagnants. Il y a donc une contestation de la conception de contrôle dominante. Ceci crée une crise dans industrie automobile américaine, ce qui montre aussi que le consommateur ne va pas forcément vers un véhicule plus lourd et plus performant. Dans les années 1980, on développe un marché protégé dans certains domaines. C'est le rétablissement du status quo. Il y a aussi un gel des parts de marché des japonais.

Ceci explique qu’aujourd’hui les véhicules les plus vendus aux EEUU sont très lourds (Ford F-150, Toyota Tacoma, deux tonnes, très polluants).

En Europe, la trajectoire est très différente : dans les années 198 il y a deux conceptions de contrôle concurrentes, car au sein du marché commun il y a des stratégies concurrentes : premium (Allemagne, Suède) vs. généralistes (France et Italie). Il y a donc une lutte pour définir les conceptions de contrôle du marché Commun. Dans les années 1990, il y a une victoire allemande sur la conception de contrôle, qui favorise un modèle qui produit des véhicules premium.
Le marché unique devient un instrument pour ouvrir des marchés d'exportation, notamment allemandes, au lieu d'un instrument de protection, comme le voulaient les français et les italiens. Les standards techniques sont alors uniformisés sur des critères supérieurs, propres aux véhicules allemands.

Commence alors une lutte entre les français, les italiens, d’un côté, et les allemands, de l’autre, au sein de la commission européenne autour des réglementations. L’Allemagne fait notamment un intense travail de lobbying auprès du parlement bruxellois. Pourtant, les objectifs de CO2 pondérés au poids est une mauvaise chose pour l’environnement. Avec ceci, on réussit à jouer avec les objectifs contraignants de la régulation européenne. Cette montée en gamme est donc le résultat direct d’une lutte entre deux modèles économiques, et de la réglementation qui s'en suit. Pourtant, une descente en gamme est ce qui aurait permis de réduire les émissions.

En Allemagne, il n'y a pas de contestation de la conception de contrôle, ce qui impliquerait une dénonciation des objectifs au poids. Il n’y a qu'une contestation du moteur thermique : le status quoi reste inchangé. L’électrification ne vient que remplacer le diesel, elle est un simple substitut du diesel. À ceci s’ajoute le fait que l’électrification est une montée en gamme. Le VE, lorsqu'il était lancé était petit et abordable, alors que le VE aujourd'hui est particulièrement cher.
L’électrification était pensée au début comme une technologie appropriée à des véhicules légers, car la batterie est chère et elle pose des problèmes d’autonomie. Ce qui est une absurdité technologique. Des véhicules lourds pour des usages quotidiens, des faibles vitesses et des courtes distances n'a pas de sens. Cela n'a pas plus de sens pour le véhicule électrique.

Quelles sont les conséquences sociales et politiques de ces transformations ? Les pays d’Europe centrale et orientale s’équipent de plus en plus en véhicules thermiques d'occasion. Ils s’éloignent des objectifs de réduction d’émissions.
De plus, la structuration d'une conception de contrôle autour du premium est à l’origine de la marche forcée vers l’électrification. De la même façon, l’électrification ne change rien à l'architecture de produit, ni au modèle économique des constructeurs. On a droit à se poser la question de la soutenabilité économique et sociale de la transition écologique.

Que faire ? Il faut rendre les véhicules électriques abordables. Cela implique de produire des véhicules électriques de petite taille en France. Il faut supprimer les objectifs au poids et introduire d’autres critères l’efficacité énergétique. La descente en gamme peut avoir lieu par la mise en place d'une réglementation technique ajustée aux petites voitures électriques.

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