Véhicule électrique: s’inspirer de la voie chinoise pour éviter de subir

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Volkswagen semble bien rencontrer en Chine des difficultés pour éviter d’être évincé par les marques chinoises sur le marché du véhicule électrique ou électrifié. Cette difficulté qui est également celle de Tesla face à BYD et aux autres grands acteurs chinois renvoie à la réussite de la politique industrielle et technologique des autorités chinoises qui visait à faire en sorte que l’électrification permette la sinisation de l’automobile chinoise. En Chine comme en Europe ou aux Etats-Unis, cette réalité appelle une réflexion et des politiques qui ne sauraient se réduire à une fuite en avant dans la montée en gamme.

La presse s’est fait l’écho en ce début juillet de l’apparition en Chine de la première vraie copie de l’Ami de Citroën proposée à 2500 euros.

La même semaine, commentant les chiffres des ventes mondiales de véhicule électriques ou électrifiés (les fameux NEVs pour New energy vehicles) au premier semestre 2022, les commentateurs ont souligné que Tesla était en train de perdre son leadership mondial au profit de BYD. Ainsi, on pouvait lire dans Forbes : "BYD a livré 641.350 VE et hybrides rechargeables à ses clients au premier semestre, soit une hausse de 315 % par rapport à l'année précédente, contre 564.743 pour Tesla, soit une hausse de 46 %."

Certes, souligne l’article, les seules ventes de modèles à batterie permettent à Tesla de devancer BYD mais, globalement, sur les 5 premiers mois de l’année 2022, si les deux modèles de Tesla restent devant avec respectivement 214.927 ventes pour le Model Y et 165.343 pour le Model 3, la troisième place est pour la Wuling HongGuang (161.579) et les cinq suivantes pour des BYD proposées en BEV et en PHEV pour quatre d’entre elles. L’ID4 de VW n’est que dixième (voir le top 20).

Ce tableau est bien sûr très largement lié au paysage chinois où l’essentiel de la hiérarchie mondiale se joue encore en matière de VE pour quelques années : entre janvier et mai, le marché mondial des NEVs a été de 3,24 millions de véhicules dont 1,8 ont été vendus en Chine. Sur l’année, on sera aux alentours de 5,5 millions mondialement dont presque 4 en Chine très probablement. Sur le marché chinois, l’ambition était clairement de faire en sorte que l’électrification soit l’occasion d’obtenir enfin la "sinisation" des immatriculations visée depuis longtemps mais toujours repoussée à plus tard. Sur 2022, en termes de hit-parade des NEVs, 9 des 10 premières places sont occupées par des véhicules de marques chinoises dont la moitié sont des BYD. Seule la Tesla Model Y est dans le top 10 (4ème avec 81.125 immatriculations soit moitié moins que la Wuling Hong Guang). En termes de parts de marché des marques, Tesla est à 6,6%, BYD à 27,9%, SAIC-GM-Wuling à 10,1%, Chery à 4,9% et GAC à 4,2%.

Avant de se faire peur avec une éventuelle invasion des véhicules assemblés en Chine en Europe ou aux Etats-Unis qui ne se dessine pas encore très précisément, c’est cette possible éviction des grands constructeurs occidentaux du marché chinois qu’il faut comprendre. Pour cela, il faut saisir d’abord les ressorts de cette éviction pour évaluer ensuite quelle pourrait être l’ampleur de ce mouvement et ses possibles effets sur la hiérarchie mondiale.

Au premier niveau, on a tendance à se concentrer volontiers sur les challengers chinois de Tesla comme Xpeng, Nio ou Lynk & Co qui viennent attaquer le marché sur les mêmes segments. Ce sont là des mouvements qui sont certes importants mais, fondamentalement, c’est ce qui se passe avec la Hong Guang,  la copie de l’Ami et les BYD qui est sans doute le plus important. C’est cette orientation donnée au marché et la capacité de l’occuper avec des ressources technologiques et industrielles qui ne soient plus celles issues des grandes JV mais celle des acteurs locaux qui nous indique que, à l’occasion de ce pan majeur du MIC (Made in China) 2025 qu’était l’électrification, la Chine automobile s’est définitivement éveillée et a décidé de laisser au bord de la route ceux des constructeurs qui se croiraient encore trop indispensables.

L’ouvrage récemment paru chez Dunod, cosigné par C. Midler, M. Alochet et C. De Charentenay et retraçant par le menu "l’odyssée de la Spring" permet précisément de comprendre comment un écosystème NEVs abordables s’est structuré et a permis l’émergence de ces alternatives technologiques et productives dans le cadre d’une planification à la fois très déterminée et très souple.

Les auteurs appellent cela "le darwinisme administré" et montrent comment en prenant appui sur lui on peut, après moultes péripéties, accoucher d’une vraie voiture électrique abordable comme la Dacia Spring et la fabriquer de manière satisfaisante là-bas.

Certes, la mettre aux normes européennes conduit à se situer à quelques milliers d’euros au-dessus de ce qu’était la cible que Renault s’était initialement donnée pour la Chine mais il n’en reste pas moins que, à l’instar de ce qu’avait déjà fait Renault en Inde pour la Kwid, c’est bien en se fondant dans cet environnement que le projet a pu réussir. Gérard Detourbet, père du projet décédé en décembre 2019, avait coutume de dire qu’un constructeur qui se baladait sur toute la planète avec les mêmes fournisseurs recrutés "à la maison" ou par ses "global sourcers" était certain de se voir imposer des prix pour chaque composant très proches de "standards mondiaux" et perdait ainsi l’essentiel des avantages de coût et de créativité qu’il pouvait retirer de son internationalisation.

Ce que montre l’ouvrage est que plus que les bas coûts chinois, ce sont des manières différentes de voir la voiture, le marché, les usines et les batteries qui importent. Ne pas être en Chine ou y être pour faire la même chose qu’à la maison, c’est, nous disent en substance les auteurs, se priver d’un accès à un pan essentiel de l’industrie mondiale et de ses capacités d’innovation. Renault l’a compris tardivement et n’a pas pu l’exploiter en Chine - en partie parce que son partenaire Dongfeng n’a pas complètement adhéré au projet. GM semble avoir réussi, avec SAIC et Wuling, à s’intégrer pleinement à cet écosystème. On peut se demander si Volkswagen - dont le fonctionnement très "global" tombe volontiers sous la critique de G. Detourbet – va savoir prendre le virage de la sinisation.

Les déclarations récentes de Herbert Diess s’inquiétant d’une diplomatie allemande un peu trop regardante sur la question des droits de l’homme dans le Xinjiang où le constructeur automobile exploite une usine dans la capitale Urumqi avec son partenaire chinois SAIC montrent que le top management de Volkswagen est rendu très nerveux par la "sino-dépendance" de l’entreprise et ses actuelles difficultés à prendre réellement pied sur le marché du VE chinois.

La réorganisation annoncée récemment et le jeu de chaises musicales correspondant racontent la même histoire : en termes de volumes et de profits, VW dépend très largement de la Chine et est saisi d’effroi à l’idée que la manne pourrait devenir de plus en plus difficile à maintenir. Visiblement, l’idée est bien de moins décider à Wolfsburg et de donner aux marques en Chine, l’autonomie nécessaire mais le chemin à parcourir et l’histoire de l’internationalisation de VW justifient une réelle inquiétude à ce sujet : le groupe est, en matière de NEVs, aux alentours de 5-6% de parts de maché et, donc, très en deçà de ses performances. Il n’est pas certain que la gamme des ID3, ID4 et ID6 suffise à concurrencer les BYD et les Hong Guang …

Bien évidemment, cette question ne concerne pas que la Chine et VW. En effet, ce qui met VW en difficulté en Chine est son abord du marché du VE par le haut de gamme qui entre en contradiction avec la politique chinoise et les propositions de la concurrence. On a ainsi - la presse américaine le note volontiers – une expansion du VEB en Europe et aux Etats-Unis qui s’accompagne bizarrement de prix croissants et qui, du coup, laissent la Chine partir loin devant en termes de volumes. Il en résulte que la capacité des occidentaux anciens (comme VW) ou nouveaux (comme Tesla) à rester au cœur du jeu automobile chinois est entamée alors que leurs capacités à structurer par une offre de masse crédible l’expansion de leurs marchés domestiques ou des autres marchés émergents est très mal assurée. Ainsi, un article consacré à l’offensive chinoise en Europe dans Forbes pointe la responsabilité des normes européennes - très germano-dépendantes ajouterons nous – en soulignant que :

"Les réglementations de l'Union européenne (UE) ont été conçues pour aider les constructeurs locaux à vendre des modèles haut de gamme à forte rentabilité en permettant aux véhicules plus lourds d'échapper aux sanctions financières, au détriment des petits véhicules. Jusqu'à présent, les ventes de voitures électriques en Europe ont été dominées par des véhicules chers ou très chers. Pour que la révolution de la voiture électrique réussisse, le marché de masse est essentiel. Jusqu'à présent, les constructeurs européens se sont montrés peu enclins à desservir le segment économique du marché en raison des règles européennes. Les investisseurs craignent que les petits véhicules électriques chinois envahissent bientôt ce secteur, sous le regard des Européens."

Effectivement, face à cette difficulté à laquelle VW et les constructeurs et équipementiers allemands ne sont pas complètement étrangers, on peut soit s’acharner dans la défense de la voie de la montée en gamme et des exigences sécuritaires sans cesse croissantes en se convaincant que c’est là la meilleure manière de barrer la route aux velléités expansionnistes chinoises soit s’éloigner un peu plus clairement de la voie allemande et exiger des politiques européennes qu’elles promeuvent un véhicule électrique populaire assemblé en Europe et équipé de batteries européennes. Ce n’est pas forcément ce que VW rêve de voir s’imposer comme standard en Europe mais, pour nous Français, pour l’Italie ou pour les nouveaux Etats-membres, cela mérite examen.

La chronique de Bernard Jullien est aussi sur www.autoactu.com.

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