La dépréciation de l’euro menace le soutien public à la transition écologique et l’industrie automobile

29.8.jpeg

La dépendance de l’automobile au politique et aux financement publics est traditionnelle. Elle est particulièrement prononcée en 2022 étant donnée la nécessité de partager la charge de la transition. Plus que par ses effets sur le coût des importations et/ou sur les capacités de l’automobile européenne à exporter, l’évolution de la parité dollar/euro qui a vu la devise européenne perdre plus de 15% importe pour ses effets sur la donne macroéconomique. En effet, la marche forcée vers le véhicule électrique déjà peu digeste pour l’automobile européenne le serait encore moins si la relative générosité des Etats constatée jusqu’alors venait à être remise en cause par la hausse des taux d’intérêt et les conséquences qui en seraient tirées en matière de finances publiques.

L’industrie automobile européenne vit, en 2022 et pour quelques années encore, une transition qui lui est imposée par un changement climatique dont le politique a estimé qu’il n’était pas pris en compte suffisamment vite et vigoureusement par les industriels. Face à cette timidité et aux craintes – fondées – de s’exposer à la duplicité des constructeurs, un consensus très interventionniste s’est dessiné en Europe en 2015 et renforcé étape par étape ensuite pour aboutir à la prohibition de l’immatriculation des véhicules thermiques – y compris hybridés – en 2035.

Il en résulte que l’agenda stratégique de l’industrie automobile européenne a radicalement changé par rapport à celui qui était le sien dix ans plus tôt : le problème n’est plus de profiter de la croissance des marchés émergents en "s’intercontinentalisant" pour échapper à l’atonie du marché européen mûr et stagnant ; le problème n’est plus d’exporter vers la Chine ou les Etats-Unis pour échapper aux phénomènes de surcapacités en Europe ; le problème est de gérer le moins mal possible une marche forcée vers l’électrification de 100% des véhicules vendus en l’espace de moins de 15 ans.

Très clairement, ce cap stratégique est imposé par le politique et, non moins clairement, même dans une Europe traditionnellement libérale et bien peu prompte à concevoir et conduire des politiques industrielles, il implique un abandon de la doctrine de la "neutralité technologique" qui avait été jusqu’alors celle de l’UE.

Pour l’automobile comme pour l’ensemble des industries concernées par la transition écologique, jusqu’ici, et avant que n’éclate la crise ukrainienne, la contrepartie de cette injonction très illibérale était l’assez grande générosité des Etats. Ainsi, concernant le véhicule électrique, soutenir la demande autant que les investissements en R&D, la création d’entreprises productrices de batteries, la construction de capacités de production ou le financement des infrastructures de recharge était du ressort des Etats et l’UE, loin de s’y opposer, aménageait ses doctrines macroéconomiques et/ou d’appréciation des conditions d’une concurrence libre et non faussée en conséquence.

De ce point de vue, jusqu’à la fin de la décennie passée, il est a posteriori frappant de constater que, même en Allemagne, la vision qui s’est imposée en matière macroéconomique a radicalement changé. Pour dire les choses très – trop – rapidement, après que l’on ait acquis la conviction que l’application de politiques d’austérité ne permettrait pas de sortir de la crise grecque et de l’ensemble des crises de la dette publique qui se dessinaient en Europe du Sud et des menaces qu’elles faisaient peser sur l’Euro, le Quantitative Easing a été de facto accepté et les taux très bas voire négatifs sans poussée inflationniste en ont résulté.

Dans la cascade de conséquences qui en ont résulté, le fait que l’alourdissement automatique de la charge de la dette résultant de taux d’intérêt supérieurs aux taux de croissance nominaux des PIB nationaux (ce que l’on appelle l’effet "boule de neige") ait disparu et que l’inverse ait été vrai a été déterminant. En effet, les soldes budgétaires primaires stabilisant la dette exprimée en pourcentage du PIB ont baissé jusqu’à devenir négatifs.

Dans la mesure où, mondialement, l’épargne paraissait excédentaire par rapport à l’investissement, le fait que les taux d’intérêt soient très bas était volontiers analysé comme étant une situation normale. De même, puisque l’investissement privé était insuffisant et impliquait que les entreprises n’expriment pas de forts besoins de financements, le fait que les administrations prennent le relais et mobilisent les capacités de financement oisives des ménages paraissait normal.

En est résulté un consensus macroéconomique en Europe et dans le monde qui, de très anti-keynésien encore dans le début des années 2010, était devenu beaucoup plus prompt à accepter et la dépense publique et les déficits.  
Ainsi, lorsque l’on compare la gestion de la crise Covid au début des années 2020 à celle des effets de la crise financière de 2009-2010, on notera que, sans même parler du financement de la transition écologique, nous avons pu, avec la bénédiction de Angela Merkel, appliquer en 2020-2021 un "quoiqu’il en coûte" qui a permis de prendre en charge le chômage partiel et d’éviter les licenciements. L’orthodoxie budgétaire bruxello-berlinoise nous l’avait interdit dix ans plus tôt. Dans les plans de relance nationaux et européens qui se sont négociés jusqu’à la crise ukrainienne, les nécessités de l’intervention publique conjoncturelle associées à la pandémie et celles d’un soutien public massif à la transition se combinent pour justifier que le "retour à la normale" ou le désendettement cessent d’être des priorités. 

Dans ce contexte, et la baisse des volumes vendus par l’industrie automobile et les dépenses colossales à consentir pour se désengager de la filière traditionnelle et investir massivement dans la filière électrique paraissaient gérables aux constructeurs : en faisant supporter la charge des baisses de volumes à leurs fournisseurs et aux Etats et payer aux contribuables les surcoûts à l’achats des véhicules propres, ils bénéficiaient d’un assez bon deal et pouvaient prétendre presque tous que l’excellence de leur management  les avaient dotés d’un inédit "pricing power". Le BTP, les producteurs et installateurs d’éoliennes ou de panneaux solaires ou la filière nucléaire sont dans la même position : ils ne peuvent prospérer que si la dépense publique continue d’être légitime même quand il est nécessaire pour qu’elle perdure que l’endettement progresse.

Avec l’inflation et la progressive remise en cause aux Etats-Unis du Quantitative Easing et des taux bas, c’est tout ce fragile édifice qui est en train de s’effondrer et, de ce point de vue, les évolutions de la parité euro-dollar sont pour l’économie européenne et pour l’industrie automobile singulièrement lourdes de menaces. En effet, comme on l’a vu avec le relèvement des taux en Europe longtemps différé et finalement acté, les évolutions du cours du dollar s’expliquent par la demande excédentaire de cette devise qui résulte du différentiel de rendement des placements en euros et en dollar.

En partie parce que les finances publiques des Etats et les économies européennes ont besoin de taux bas et en partie parce que Christine Lagarde considérait qu’il y avait une différence entre l’augmentation des prix constatés et l’installation de nos économies dans une inflation auto-entretenue, la BCE s’était longtemps refusée à aligner sa politique sur celle de la FED. 
Le fait qu’il en résulte aujourd’hui cette appréciation du dollar va impliquer une augmentation des prix du pétrole et des matières premières importées facturées et payées en dollar. L’inflation importée qui en résultera fera chanceler la thèse de C. Lagarde et cela risque de donner raison à ceux qui souhaiteront que les taux s’ajustent rapidement à la hausse d’abord et que la gestion des dettes et finances publiques reviennent à une conception plus orthodoxe ensuite.  

Plus que les augmentations des coûts qui en résulteront pour l’industrie automobile, ce sont les conséquences sur les finances publiques et les soutiens à la transition écologique qui, dans les mois à venir sont à craindre pour l’automobile européenne. En comparaison, les effets favorables de la dépréciation de l’euro sur les exportations dont Airbus peut bénéficier face à Boeing lorsque les compagnies aériennes comparent les prix exprimés en dollars des appareils concernent bien peu l’automobile européenne : les flux intercontinentaux de véhicules en général et transatlantiques en particulier sont de faible importance ; ils ne concernent en Europe pratiquement que les constructeurs hauts de gamme pour la part – minoritaire - des modèles qu’ils vendent aux Etats-Unis et ne produisent pas sur place ; l’automobile française n’est pas concernée.

Comme le montre la crise ukrainienne, notre dépendance aux matières premières importées et, singulièrement, aux combustibles d’origine fossile est comme en 1974 ou en 1979 ce qui fragilise nos économies européennes et rend hautement problématique la parité euro-dollar. Comme le souligne Eric Heyer, "normalement", la monnaie d’une économie qui dégage des excédents commerciaux est censée s’apprécier (pour rendre ses exportations plus difficiles et ses importations plus faciles) alors que celle d’une économie en déficit doit se déprécier. A cause de la mobilité internationale des capitaux, l’inverse se produit actuellement entre les Etats Unis structurellement déficitaires et l’UE. Une économie en excédent commercial est structurellement épargnante (elle dépense moins qu’elle ne verse de revenu) alors qu’une économie en déficit emprunte au reste du monde. Il est par conséquent essentiel que l’Europe investisse pour profiter de sa transition écologique et énergétique pour être plus indifférente à cette parité dollar-euro. A choisir, pour l’industrie automobile comme pour les économies européennes, maintenir des taux bas devrait être prioritaire.

La chronique de Bernard Jullien est aussi sur www.autoactu.com.

  GIS Gerpisa / gerpisa.org
  4 Avenue des Sciences, 91190 Gif-sur-Yvette

Copyright© Gerpisa
Concéption Tommaso Pardi
Administration Juan Sebastian Carbonell, Lorenza MonacoGéry Deffontaines

Créé avec l'aide de Drupal, un système de gestion de contenu "opensource"