Une Alliance pacifiée et rééquilibrée

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Difficile fin janvier de faire le lien entre la présentation sereine de la stratégie de l’Alliance à l’horizon 2030 et les affres dans lesquels elle se trouvait il y a un peu plus de deux ans encore. La présentation des résultats financiers à venir nous dira quel rôle joue en la matière le retour à meilleure fortune mais, à ce stade, on ne peut que constater que le travail de pacification conduit par Jean-Dominique Senard semble avoir porté ses fruits. Il renvoie à l’imposition du principe "leader-follower" qui est autant une manière de s’avouer que l’on ne sait pas coopérer qu’une tentative de le faire quand même.

Depuis l’arrivée de Luca de Meo (LdM) à la direction de Renault, on avait presqu’oublié qu’une "Alliance" avec Nissan et Mitsubishi existait. Pourtant, avec l’arrestation de Carlos Ghosn et dans les mois voire années qui l’ont précédée, les atermoiements de l’Alliance et les états d’âmes des uns et des autres concernant la répartition du travail, des pouvoirs et des parts en son sein constituaient l’essentiel de l’actualité des entreprises.

En partie parce que la volonté de Carlos Ghosn d’être et de demeurer à la fois le patron de Nissan et celui de Renault est apparu a posteriori comme posant autant de problèmes que cela n’en résolvait, LdM a souhaité apparaître comme consacrant son temps et son énergie à Renault, à ses équipes et à ses marques. Autant Carlos Ghosn jouait des rivalités entre les uns et les autres et des arbitrages à rendre comme de puissants leviers de pouvoir qui le maintenaient au centre du jeu mais créaient pour les équipes un sentiment d’inconfort permanent et, lorsqu’ils perdaient les arbitrages, d’assez puissants et durables ressentiments; autant LdM a souhaité apparaître comme étant d’abord et avant tout au service de Renault.

C’est ainsi que s’explique le fait qu’une claire division du travail se soit établie entre lui et Jean-Dominique Senard : au second les tractations avec les dirigeants de Nissan et de Mitsubishi et la – très discrète désormais – communication sur la question; au premier la conduite des affaires opérationnelles de Renault, de ses marques, de ses usines et de ses collaborations. Ceci ne signifie certainement pas que LdM se désintéresse de l’Alliance puisqu’une large part du sort de Renault en dépend. Simplement, pour prolonger le plus longtemps possible l’espèce d’état de grâce qu’il a souhaité obtenir avec les équipes, les organisations syndicales et les pouvoirs publics, le patron de Renault préfère laisser J.-D. Senard se charger des négociations et de la présentation de leur issue. Après des débuts un peu laborieux marqués par la bien curieuse défense de l’option FCA, l’ancien patron de Michelin semble avoir réussi, dans ce cadre, son entreprise de pacification. 

En indiquant que la question des participations n’était plus - ni n’aurait jamais dû être sans doute – sur la table, il a d’abord, contre l’avis de certains y compris au sommet de l’Etat, sorti la question de la fusion (ou du "rééquilibrage") du champ des préoccupations. Il a ainsi posé la première pierre du nouvel édifice. En faisant le ménage au sein de l’équipe dirigeante pour ne plus garder que ceux qui avaient été les moins impliqués dans "l’affaire" et avaient, sur la durée, été les plus pro-alliance, il avait, à l’arrivée de LdM presque terminé sa mission de déminage. Il restait à reprendre le travail très souvent suspendu depuis des mois et à trouver des principes de fonctionnement simples et réalistes. Pour cela, il fallait sortir de la schizophrénie et cesser de traiter la question dite des "convergences" en entonnant l’air de "tout va très bien, Madame la Marquise" : chacun a dit à LdM comme à son Président combien la "coopération" entre les Nissan et les Renault restait, après plus de 20 ans, compliquée et chronophage sur à peu près tous les terrains; le principe de "leader-follower" est une manière de l’accepter. 

En effet, si les habitudes de coopération étaient fortes et ancrées et impliquaient des équipes qui se comprennent et s’apprécient, alors le principe leader-follower apparaîtrait comme une espèce de formalisme qui n’empêcherait pas les uns et les autres d’exprimer et de tenter de faire valoir leurs points de vue. Inversement, si les conflits et/ou l’ignorance mutuelle décrivent mieux le paysage relationnel, alors le leader fonctionnera presque seul et le follower sera tout juste informé pour se préparer à recevoir les fruits des travaux de l’allié et à les intégrer dans ses processus stratégiques et opérationnels. Dans le travail d’enquête sur la Kwid que C. MidlerY. Lung et moi-même avions conduit il y a quelques années en Inde sur le premier projet Alliance plateforme-véhicule CMF-A, nous avions fait ce constat : l’incapacité de rentrer dans une relation authentiquement coopérative avait petit à petit transformé le projet en un projet Renault sur la base duquel les Nissan avaient dû se greffer pour faire une Datsun Redi-Go.

Pour Renault, la Kwid s’est vendue en Inde, a été exportée au Brésil et électrifiée en Chine et deux autres produits (Kiger et Triber) ont utilisé la même plateforme et les mêmes moteurs et boîtes. Pour Nissan, la Redi-Go a été et reste une catastrophe commerciale et, lorsqu’il s’agit aujourd’hui d’électrifier les Kei-Cars pour le marché japonais, on a appris cette semaine que Nissan n’utilisera pas la plateforme CMF-AEV mais une plateforme Nissan appelée KEI-EV. Ceci indique à la fois la nécessité d’acter les difficultés de coopérer à travers l’adoption des principes leader-follower et le risque de devoir accepter encore dans ce cadre un certain nombre de duplications faute de coopérations suffisantes en amont.

Malgré cela, les annonces faites par l’Alliance cette semaine sont assez convaincantes et indiquent que les années de la pacification sont aussi potentiellement celles du rééquilibrage.  
En effet, il apparaît assez clairement que les deux plateformes clés pour les gammes VP des 9 marques (Nissan, Datsun, Infiniti, Mitsubishi, Renault, Dacia, Lada, Alpine, Mobilize) sont la CMF-EV et la CMF-BEV.

La première est déjà là avec la Nissan Ariya et la Renault Megane E-Tech et a été développée par Nissan. La seconde sera celle qu’utiliseront la R5 et la future Micra EV. Elle est développée par Renault et a pour mission stratégique a redit Jean-Dominique Senard de relever le défi de "l’affordability" du VE dans l’ère post-subvention à l’achat. Renault est dans sa zone de confort et/ou sur son terrain d’excellence et, comme pour les VUL, les Nissan ne semblent pas avoir top de peine à l’accepter.

L’inverse est peut-être un peu moins vrai sur le C mais Kadjar qui a été conçue dans ce cadre ne semble pas avoir été une catastrophe économique et les Renault semblent assez fiers de leur Megane E-Tech. Dans le domaine des technologies, confier les batteries et, en particulier, le développement des nouvelles générations dites voie solide ("solid-state") à Nissan fera sans doute grincer quelques dents chez Renault mais la contrepartie est que, pour la partie informatique et les "battery management systems" si cruciaux pour les performances des VE et leur confort d’utilisation, les équipes Renault seront leader.

Au total, les ambitions de l’Alliance annoncée sans excès d’enthousiasme fin janvier semblent aujourd’hui tenables parce que les deux entreprises se portent mieux d’abord et parce que leurs relations pacifiées et rééquilibrées autour du principe leader-follower correspondent à un équilibre politique qui paraît soutenable. 

31/01/2022

La chronique de Bernard Jullien est aussi sur www.autoactu.com.

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