Comment aborder la question chinoise en matière de véhicule électrique en 2021?

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Le véhicule électrique est, depuis plusieurs années, un sujet sur lequel la passion prévaut et où la foi joue trop souvent un rôle plus important que la raison. Dans ce contexte, s’inscrit la crainte d’être roulé dans la farine par des concurrents chinois qui, sous couvert de décarbonation, auraient inventé avec leur administration une machine de guerre destinée à nous dominer voire à nous évincer. La réalité n'est pas aussi caricaturale.

Pour ceux qui craignent l’invasion des voitures chinoises en Europe, les chiffres de ces deux dernières années sont un peu rassurants. Ils permettent de proposer de la question une analyse un peu renouvelée : la présence en Chine d’un constructeur est capitale non seulement pour accéder aux volumes du premier marché du monde mais encore pour s’insérer dans un écosystème d’innovation foisonnant qui jouera très probablement comme un accélérateur des apprentissages nécessaires pour accomplir la révolution de l’électrique qui démarre à peine.

L’année 2020 avait pu sonner aux oreilles de certains comme celle où le discours entendu depuis des années sur l’ultra-domination de la Chine, de son marché et de ses constructeurs et fabricants de batteries en matière de véhicule électrique recevait son premier démenti : en 2020, les ventes mondiales de VE ont cru de 43% mais elles n’ont cru que de 12% en Chine. C’est l’Europe qui, avec une croissance de 137% avait permis la croissance. Le résultat a été qu’il s’est, en 2020, vendu plus de VE en Europe (1,4 million) qu’en Chine (1,34).
Au total, l’an dernier, mondialement, les ventes de VE on atteint 3,24 millions de véhicules : elles représentaient 2,5% du marché en 2019 et 4,2% en 2020, selon EV-volumes.

Le même site prévoit, pour 2021, sur la base des chiffres du premier semestre, une accélération de la croissance qui permettrait que soient vendus cette année 4,4 millions de VEB. D’autres analystes comme IDTechEx pensent que, étant donné ce que l’on a constaté jusqu’en septembre, on pourrait dépasser cette année les 5 millions de VEB (en n’intégrant que les VP).

Si les prévisions sont celles-ci pour 2021, c’est d’abord parce que la croissance en Chine a repris sur un rythme beaucoup plus rapide : sur le premier semestre, les ventes de NEVs (New Energy Vehicles càd VEB + VHR) ont cru de 197% et atteingnent 1,15 million soit 19% du marché (15% pour les VEB et 4% pour les VHR).
Néanmoins l’Europe continue de talonner la Chine tout en lui redonnant le leadership : sur les mêmes bases, la croissance du marché des véhicules électrifiés a été de 157% au premier semestre et les ventes auraient atteint 1,06 million. Les Etats-Unis restent loin derrière avec 297.000 unités mais la croissance est similaire (+ 166%).

Puisque le marché chinois est clairement plus vaste que les marchés européens et américains, la Chine conservera un avantage en termes de volume mais, depuis deux ans, celui-ci n’est plus aussi écrasant et le spectre de la mise en péril de l’industrie automobile européenne, japonaise ou américaine par une électrification dominée par la Chine ne s’éloigne pas forcément mais mérite un examen un peu plus fin.

En effet, comme on le sait, les constructeurs chinois ne maîtrisent qu’une part de leur marché et laissent certains grands constructeurs mondiaux capter une assez large part de celui-ci. A l’inverse, pour l’heure, l’accès des constructeurs chinois aux marchés européens ou américain est théoriquement possible mais de facto très limité. Dans ce contexte, en matière de VE, l’argument volume semble susceptible de jouer au moins autant pour GM ou Volkswagen s’ils sont capables de vendre ces véhicules en Chine que pour des constructeurs locaux comme BYD, Great Wall, SAIC ou Changan, par ailleurs très (trop ?) nombreux : si les ID.3 ou ID.4 de VW parviennent comme les Passat d’aujourd’hui à trouver autant de clients en Chine qu’en Europe, alors, comme on a vu le marché européen rejoindre le marché chinois, on verra le Top 10 ou le Top 20 mondial accueillir bien davantage de VE des grandes marques européennes, japonaises, coréennes ou américaines et les analyses développées jusqu’à ce jour paraîtront caduques

D’une certaine manière, on peut défendre que la stratégie de VW depuis six ans (la révélation des tests truqués aux Etats-Unis date de septembre 2015) a précisément été de préserver ses chances de réussir avec une organisation "globale" en promouvant la technologie qui serait perçue comme souhaitable à la fois en Chine et en Europe.

En effet, en réussissant à obtenir cette espèce d’alignement de Bruxelles sur Pékin, le constructeur pouvait valoriser les mêmes efforts de R&D et continuer de vendre les mêmes produits ici et là-bas. Pour l’instant, en 2021, si l’on regarde le hit-parade des 10 meilleures ventes de VE en Chine de janvier à août, ce n’est pas pleinement concluant. En effet, les trois premières places sont certes occupées par des Américains avec, en première position, la Wuling Hong Guang MINI EV de GM (qui forme avec SAIC et Wuling la JV SGMW) qui totalise 253.704 ventes et, en deux et trois, les Tesla Model 3 et Model Y (92.755 et 59.900 ventes). Mais, les 7 places suivantes ne sont occupées que par des modèles chinois de six marques différentes réalisant des ventes sur 8 mois qui s’échelonnent entre 37.000 et 50.000.

Sur le plan mondial, sur la même période, la stratégie de VW depuis le lancement de ses deux modèles électriques à batterie phares semble porter ses fruits : la ID.4 est en 4ème place (derrière la Wuling et les deux Tesla) et la ID.3 est 8ème. Avec respectivement, 60.000 et 45.000 ventes sur 8 mois, VW est encore loin d’atteindre les échelles des Passat ou Golf mais surpasser et Tesla et les BYD, SAIC ou Li Xiang ne paraît pas hors d’atteinte : la messe n’est pas dite et, en terme de marques, si, de même, Tesla, SGMW et BYD sont devant, suivent VW, BMW, Mercedes, Audi, Volvo, Kia et Hyundai. SAIC s’intercale certes mais on ne peut sérieusement prétendre au vu des chiffres en octobre 2021 que l’histoire qui est en train de s’écrire est celle d’une domination chinoise sans partage : il est bien difficile à ce jour de détecter dans le monde du VE, l’équivalent d’un Huawei dans le monde des équipements de télécomm.

Dans cette perspective, on doit tout de même s’attarder sur le cas de SGMW et de sa fameuse Hong Guang MINI EV. En effet, si ce modèle nous permet d’affirmer que, malgré tout, GM parvient à se placer très bien dans la course électrique, il est patent que c’est avec une stratégie très différente (voire opposée) à celle de VW.

VW est global et essaie de faire en sorte que ce qui est conçu en Allemagne en visant d’abord les marchés européens s’adapte ensuite le mieux possible à d’autres contextes régionaux. GM ne fait pas – ni n’a jamais fait -, en matière d’internationalisation, le pari que ce qui est vrai en Amérique du Nord le sera aussi au Brésil, en Europe, en Corée ou en Chine. Pour être en phase avec les marchés et les conditions sociales et industrielles locales, GM rachète des acteurs locaux comme Opel, Vauxhall, Saab ou Daewoo et, en Chine, développe avec SAIC non seulement des productions de modèles issus des catalogues européens, américains ou coréens de ses différentes marques mais aussi des marques et modèles "chinois" comme ceux, thermiques, vendus avec grand succès sous les marques Wuling ou Baojun ou comme ce best-seller électrique qu’est la Hong Guang MINI EV. On dirait dans les articles académiques que GM n’est pas "global" mais "multi-domestique" : GM essaie d’apparaître - et de se comporter - comme un "local de l’étape" dans différentes régions.

Cette stratégie peut conduire à considérer qu’il y a en matière de VE des manières de voir et de faire au niveau des produits, des services, des batteries et de leur software de pilotage qui sont, en Chine, foisonnantes et adaptées à la créativité qu’il faudra encore avoir pendant plusieurs années pour réussir cette "révolution de l’électrique" qui est à peine entamée.

Même si en Chine comme un peu plus tard en Europe et désormais aux Etats-Unis, il a aujourd’hui été décidé que cette révolution aurait lieu, on ne saurait dire aujourd’hui, au niveau technologique comme au niveau des produits ou des services lesquelles des voies testées se stabiliseront dans les différents contextes sociaux, géographiques ou énergétiques.

VW fait le pari que la question clé reste celle des volumes et le moins que l’on puisse dire au regard de l’histoire de l’automobile est qu’il y a de très sérieuses raisons de faire cette hypothèse et de tout faire pour maintenir sa présence en Chine dans cette perspective. De facto, GM joue plutôt la Chine comme une espèce d’écosystème d’innovation électrique où l’on parvient à faire, sur de très grandes échelles, des choses qui ne seraient pas envisageables ailleurs.

La Hong Guang MINI EV est une illustration de la pertinence de cette autre manière de voir : si le voyage du modèle en Europe ou ailleurs se passe bien (comme celui de la Dacia Spring semble bien se passer), alors, sans invalider les stratégies globales, on pourra affirmer que la seconde manière d’aborder le dossier chinois est au moins aussi vertueuse que la première.

18/10/2021

 

La chronique de Bernard Jullien est aussi sur www.autoactu.com.

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