Quel avenir pour l’industrie automobile européenne face à l’électrification ?
Type de publication:
Compte Rendu / ReportAuteurs:
Carbonell, Juan SebastianSource:
Compte rendu de la journée du Gerpisa, Number 266, Virtuel (2021)Notes:
Tommaso Pardi, Gerpisa, IDHES
Texte complet:
Lors de cette séance du séminaire, Tommaso Pardi présente son travail en cours sur les enjeux de l’électrification de l’offre automobile en Europe. En raison des changements de la dernière année en matière de réglementation, il faut suivre de manière presque quotidienne la question de l’électrification et des objectifs d’émissions en Union Européenne.
Aujourd’hui, les réglementations font que la part des véhicules électriques (VE) augmente. Les constructeurs n’ont pas le choix, dans l’UE il y a une accélération de l’électrification. On peut donc se demander si à partir de 2030 on ne vendra que des véhicules électriques en Europe. Alors que l’UE cumulait des retards, en cinq ans, la donne a changé par rapport aux États-Unis et la Chine, où l’État investit massivement dans l’électromobilité.
Peu d’analystes se penchent sur les raisons de cette accélération de l’électrification. De même, elle risque de provoquer de nouvelles contradictions, d’où l’émergence de la thématique de la « transition juste ». En effet, l’électrification risque d’impacter les la mobilité des ménages et de réduire les emplois dans l’industrie.
En ce qui concerne, l’accès à la mobilité, les données montrent que le VE est plus cher et acheté principalement par des ménages riches de l’Europe de l’Ouest et du Nord : 88 % des VE vendus en 2020 l’ont été en Europe du Nord. Cela est lié à une dynamique de renchérissement de la voiture. Donc, ceux qui ne peuvent pas se payer ces véhicules peuvent être pénalisés par cette transition car en même temps la fiscalité du carbone, et donc aussi des carburants, se durcit.
En ce qui concerne l’impact sur l’emploi, le passage d’un moteur thermique à un moteur électrique implique une baisse de l’emploi : entre 20 et 40 % des emplois seraient menacés (67 000 emplois concernés dans la production des moteurs thermiques aujourd’hui en France). Le moteur électrique a six fois moins de pièces, donc nécessiterait entre 80 et 90 % de moins d’emplois. D’autres questions se posent : quel volume de production et où seront produits les véhicules et les batteries ? Les batteries sont en grande partie importées aujourd’hui de Chine ou d’autres pays d’Asie.
On estime une baisse de 35 % de l’emploi d’ici 2030 dans le secteur automobile en Europe, en prenant en compte les emplois créés dans les gigafactories de batteries qui ont été annoncées jusqu’à maintenant.
L’électrification reste une inconnue en ce qui concerne l’impact sur les filières nationales. Les dynamiques de production automobiles sont différentes en Europe et sa périphérie. La France, la Belgique et l’Italie ont perdu 48 % de leur volume de production entre 2000 et 2020. Les seuls gagnants sont les pays PECO, la Turquie et le Maroc. Est-ce que l’électrification peut être un outil de réindustrialisation de la France ? Si ce n’est pas le cas, la France pourrait sortir des grandes industries automobile mondiales d’ici une dizaine d’années.
Le facteur décisif derrière le durcissement de la réglementation européenne sur le CO2 a été le dieselgate. Mais une question peu posée est celle du pourquoi du dieselgate ? Pourquoi les constructeurs ont-ils triché ? Une explication commune serait la « ruse », la « malhonnêteté » et la « cupidité » des constructeurs. Est-ce que cette explication est suffisante ? Dès les années 2000, les constructeurs automobiles s’étaient engagés à réduire leurs émissions. Mais la plupart d’entre eux n’y sont pas parvenus, et notamment les constructeurs premium, et les constructeurs allemands plus en général, y inclus Volkswagen, A partir de 2008 la réglementation est alors associée à des pénalités. Mais la réglementation est alignée sur la stratégie des producteurs haut de gamme, notamment allemands. Pour être plus « verts », il faut produire des véhicules plus lourds car les objectifs de CO2 sont pondérés au poids des voitures vendues, empêchant toute stratégie de verdissement basée sur une réduction du poids de la voiture et de la puissance du moteur, pourtant les deux plus importants facteurs pour la consommation de carburant.
Mais la réglementation CO2 n’est pas la seule responsable de la situation actuelle. Il y a eu une centaine de régulations introduites depuis 2000 qui ont affecté le poids des véhicules (notamment dans le domaine de la sécurité active et passive) ce qui les a rendus aussi plus chers. Puis, le marché unique a été aussi structuré pour développer les véhicules de haut de gamme pour les exporter, en particulier vers les États-Unis et la Chine. Le principal pays qui bénéficie de cette stratégie c’est clairement l’Allemagne. On voit alors un écart se creuser entre les constructeurs premium et VW, d’une part, et les autres constructeurs généralistes, de l’autre. Les véhicules plus lourds, plus puissants, plus chers et donc plus polluants ont été favorisés par la réglementation européenne.
En 2020, la part des VE a été multipliée par quatre. L’électrification s’inscrit dans la continuité du cadre réglementaire, car c’est une technologie beaucoup plus facilement soluble dans les véhicules premium (pour un surcout d’environ 10000€ - 15000 € selon la taille de la batterie).
Ceci n’est pas sans problèmes. En France, les VE se sont développées grâce aux aides gouvernementales. Tandis qu’en Europe du sud et de l’est, les VE restent plus ou moins inaccessibles. Ce qui fait que les consommateurs se tournent de plus en plus vers les véhicules d’occasion. En Europe de l’est, les véhicules d’occasion anciens importés occupent la plupart du marché. Ceci fait que les pays d’Europe centrale et orientale sont devenus aujourd’hui les principaux contributeurs à l’augmentation des émissions des gaz à effet de serre.
Quelques conclusions :
La montée en gamme a été à l’origine du dieselgate. La réglementation est aussi à l’origine de l’électrification forcée. Cette réglementation est défavorable aux constructeurs français et problématique en termes de « transition juste ».
Est-ce qu’une alternative est possible ? À court terme, il faudrait passer d’une réglementation CO2 basée sur le poids à une réglementation basée sur la surface, comme aux USA. Ceci permettrait à nouveau une stratégie de verdissement basée sur la réduction du poids. De plus, il faut réfléchir en termes de parc et non seulement de véhicules électriques vendus, notamment en raison de la vente de véhicules d’occasion. Enfin, à moyen terme, il faudrait introduire une réglementation basée sur l’empreinte carbone en termes de cycle de vie. Y a-t-il un sens d’importer un véhicule de deux tonnes de Chine et le vendre comme neutre en carbone en France ?
Discussion
Question : Il y aura une perte d’emplois liée à l’électrification. Pourtant, le volume de production est central dans la quantité d’emplois perdus, pas la technologie. Si on revient à une stratégie de volume, on aurait un niveau d’emploi tout à fait acceptable. C’est une question politique et économique, pas technologique.
Le dieselgate c'est le résultat d’une stratégie de montée en gamme qui aurait favorisée les constructeurs allemands. Pourtant, Audi et Daimler sont les deux seuls constructeurs condamnés. Le dieselgate est lié à trois contradictions. La première est la stagnation des salaires qui fait que la demande solvable diminue. On ne peut plus écouler les véhicules comme avant. La deuxième est que les règlements sont en contradiction les uns avec les autres, ce qui est le produit de la gouvernance européenne. Troisièmement, il y a une montée en compétitivité, pensée pour permettre à l’industrie européenne pour être compétitive sur les technologies. Cette stratégie n’a de sens que s’il y a un marché national qui permettrait de soutenir ces technologies.
Réponse : Certaines études affirment que la perte d’emplois due à l’électrification n’est pas aussi importante. Aujourd’hui on ne sait pas quel sera l’effet. S’il y a des lignes d’assemblage dédiées, la perte d’emplois risque d’être importante, en raison du niveau d’automatisation et des gains de productivité.
Imaginons qu’on rapatrie des véhicules de segment B en France, la perte d’emplois aurait lieu ailleurs, en République Tchèque par exemple, ou en Espagne, mais le bilan global européen serait le même. Il risque d’y avoir une concurrence importante autour de l’attribution des modèles électriques.
L’intégration européenne laisse une seule marge de manoeuvre aux économies nationales : la compétitivité, c’est-à-dire la baisse du coût du travail ou de la fiscalité. La politique industrielle des pays est vidée de ses leviers, la logique qui s’est imposée est celle de l’Allemagne. Les pays d’Europe de l’est jouent le rôle de lieu d’accueil des industries lorsque les politiques industrielles ne sont plus suffisantes. Il faut repenser tout le fonctionnement du marché unique.
De plus, la monter en gamme n’est pas qu’une question d’aller chercher des marges, car cette n’a pas forcément marché. Les groupes français et italiens ont frôlé la faillite à plusieurs occasions.
L’Europe est-elle au même niveau que la Chine ? En Chine, les ventes de VE sont très localisées. Un million de voitures électriques en Europe n’a pas le même sens qu’un million de véhicules électriques en Chine.
Il faut une industrie de la batterie, elle n’existe pas en Europe. Le problème est que ses prix sont encore très élevés. De même, la vision systémique de la mobilité en Europe n’est pas au même niveau que celui de la Chine. L’Europe risque de payer son retard.
En termes d’emploi, l’assemblage final est presque identique pour un véhicule thermique et un véhicule électrique. La différence se situe au niveau de la forge, fonderie et usinage, où les emplois sont supprimés. Une solution serait la création des gigafactories près des sites d’assemblage. Une question demeure en suspens : qui va s’accaparer ce marché ? ACC ? Ou des industriels étrangers ?
Enfin, là où il pourrait y avoir un développement de l’emploi, ce serait dans l’ingénierie. Il y a des choses à apprendre de la Chine. Les subventions sont là pour faire que la Chine devienne leader mondial pour améliorer la performance des véhicules, en termes d’autonomie et la performance des batteries. Les premiers véhicules électriques mis sur le marché sont très gourmandes en termes d’énergie. Pour les faire bouger, il faut des batteries puissantes.
Il faut travailler sur le poids des véhicules et sur leur aérodynamisme. Mais si on veut un cercle vertueux, il faut revoir les usages des véhicules.
Pour le moment, les gigafactories en Europe sont des projets. Il n’y en a que trois. Toutes les batteries sont importées. On a besoin d’un énorme investissement pour pouvoir satisfaire l’objectif de 70 % de VE en 2030. Ce n’est pas gagné d’avance.
La production de batteries est intensive en capital, et peu en travail. Donc, les gigafactories ne compenseront pas la perte d’emplois dans les forges, les fonderies, etc. Dans l’ingénierie, on sait que les emplois se réduisent depuis plusieurs années. On ne sait toujours pas où se situeront les emplois d’ingénierie du véhicule électrique.
L’Europe est contrainte de fabriquer des voitures en raison de la réglementation, alors que la Chine a tout l’écosystème nécessaire pour le faire.
Il y a une étude publiée le 5 juin de la CFDT, de la fondation Hulot et de Syndex sur la « transition juste ». L’étude s’intéresse à la partie en amont, mais il faut aussi considérer la question des réparations et des services l’après-vente. C’est une question de politique industrielle. On n’est pas en train de repousser à plus tard ce qui devient de plus en plus urgent ?
Aujourd’hui, la plupart des usines automobiles en France sont fragiles, à part quelques exceptions. Les projections montrent que d’ici une dizaine d’années elles risquent de disparaître. Il y a une trajectoire déclinante dans l’industrie automobile française. Le plan ElectriCity de Renault est une bonne nouvelle car il essaie d'inverser cette tendance. Mais pour l’instant c’est un projet. Du côté de Stellantis, on n’a pas vu de projet de ce type. Il faudrait que les projets comme ElectriCity se multiplient. Un cadre réglementaire qui intègre une descente en gamme serait un atout important. On sait qu’il y a de l'emploi dans les bornes électriques, dans les activités autour. Mais on sait que les emplois industriels sont stratégiques. Ce sont souvent des emplois de qualité qui génèrent beaucoup d’emplois indirects, en termes de R&D, tertiaire, etc.
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Journée du Gerpisa
Vendredi 6 Octobre 2023, 14:00 - 17:00 CEST
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