Le problème de cohérence de l’ACEA

PSA, FCA... ACEA (photo : groupe PSA)

Mike Manley, patron de FCA, est intervenu mercredi devant la presse pour promouvoir un document édité par l’ACEA qu’il préside de depuis décembre.
Intitulé "Un plan en dix points clés pour aider à mettre en œuvre le Green Deal européen", ledit document entend indiquer à la Commission ce que devraient être, pour les 16 constructeurs présents en Europe, les politiques qui les concernent.
Prolongeant et accentuant la tonalité des huit pages que les services de l’ACEA se sont hâtés d’écrire pour répondre à Ursula von der Leyen, Mike Manley a commencé par souscrire à l’objectif de neutralité climatique qu’elle poursuit et a même affirmé que l’ACEA "croit fermement qu'un transport routier neutre en carbone est possible en 2050". 
 
Toutefois, s’est-il empressé d’ajouter, ceci ne relève pas, bien loin s’en faut, de la seule responsabilité des constructeurs et trop exiger d’eux sans rien donner en retour pourrait avoir des conséquences dramatiques.
La première d’entre elles concernera dès 2020, selon M. Manley, les immatriculations qui, pour la première fois depuis 2014, ne devraient pas augmenter mais baisser : elles ont encore cru de 1,2% à plus de 15,3 millions de voitures vendues en 2019, l’ACEA prévoit pour 2020 une baisse de 2%.
 
Sans prétendre explicitement qu’il s’agit là d’une conséquence des exigences de réduction des émissions de CO2, le patron de FCA souligne que les constructeurs vont devoir faire face à de lourdes charges et s’évertuer à vendre des véhicules électriques ou électrifiés dans ce contexte peu porteur. Dans la mesure où ces technologies sont chères et pourvoyeuses de prestations qui ne sont pas – émissions mises à part – meilleures mais moins bonnes, il est urgent d’aider les constructeurs.
"Au moment même où notre industrie augmente massivement ses investissements dans les véhicules à zéro émission, le marché devrait se contracter - pas seulement dans l'UE mais aussi au niveau mondial - c'est pourquoi la transition vers la neutralité carbone doit être très bien gérée par les pouvoirs publics", a-t-il ainsi déclaré.
Cette bonne gestion de la transition par les pouvoirs publics selon l’ACEA renvoie d’abord, rien de surprenant, au fait que les prix des véhicules électrifiés restent élevés et qu’il faut donc que soient mises en place partout en Europe "des politiques d'incitation" pour les automobilistes "afin de s'assurer que les prix plus élevés ne freinent pas le renouvellement du parc automobile".
Le document insiste d’ailleurs lourdement sur le vieillissement des parcs en Europe : celui des voitures est, entre 2000 et 2017, passé de 7,5 ans à 12 ans et celui des camions de 6,9 à 11,1. Il serait donc urgent de rendre les véhicules plus accessibles pour en permettre un renouvellement plus rapide. C’est la septième des dix mesures préconisées par l’ACEA. On peut la comprendre lorsqu’elle est justifiée par la "viabilité des business".
L’argument "accessibilité" est tout aussi fondé mais il est un peu étonnant de le voir développé par des constructeurs qui – avec la complicité des équipementiers et des autorités européennes il est vrai - n’ont eu de cesse de monter en gamme et de proposer aux clientèles des véhicules toujours plus lourds, plus hauts, plus longs, plus larges, plus puissants et plus chers. C’est un peu comme si ce renchérissement que justifiaient la sécurité passive et, éventuellement, la dépollution des moteurs essence et – surtout – Diesel devenait insupportable lorsqu’il est associé à l’électrification.
 
Outre le désormais classique plaidoyer pour les bornes (mesure 4) ou celui, en forme de défense du Diesel, pour la "neutralité technologique" (mesure 1), les autres mesures s’inscrivent dans la perspective introduite par la mesure 2 qui évoque la nécessité que la Commission adopte une approche plus "holistique" de la décarbonation des transports.
 
Plus précisément, l’ACEA reproche à l’UE de faire peser sur les constructeurs et les véhicules qu’ils proposent des responsabilités qui ne peuvent être les leurs. L’ACEA propose pour cela de raisonner "well to wheel", c’est à dire depuis l’énergie primaire jusqu’à la roue, en subdivisant cette chaîne en deux séquence : la première va de l’énergie primaire au réservoir ("well to tank") et la seconde du réservoir à la roue ("tank to wheel"). Ainsi, on pourrait scinder (split) les responsabilités et, si les constructeurs disent accepter les leurs dans la seconde séquence, ils exigent que soient aussi demandés des comptes aux gestionnaires de la première et aux politiques qui sont conduites la concernant.
Conformément à l’exigence de "neutralité technologique" sont ainsi évoqués les carburants alternatifs et les carburants liquides renouvelables. De la même manière, hors des responsabilités des constructeurs la question des systèmes de transport et de la rationalisation des usages des véhicules devrait, dans cette approche holistique, être examinée.
 
Il s’agit bien évidemment pour les constructeurs de réduire la pression qui pèse sur leurs épaules et de défendre éventuellement des solutions moins problématiques à développer industriellement et commercialement que le VE qui ressort pour l’instant comme la seule voie souhaitée. Il n’en reste pas moins que c’est intellectuellement plutôt défendable et que de la même manière qu’il est souvent demandé à l’école de réparer tous les maux de la société, on a tendance, depuis l’affaire Volkswagen au moins, à confondre véhicules neufs propres et transports propres ou neutres en carbone. Le problème est que, une fois affirmé ces intelligents principes, l’ACEA ajoute deux plaidoyers plus problématiques.
 
Le premier concerne la prise en compte du cycle de vie entier qui, selon l’ACEA, ne peut ni ne doit être la base de raisonnement des mesures applicables à l’automobile :
"Etant donnée l’absence d’une méthodologie globale commune dans l’UE et le fait que ces cycles de vie impliquent un grand nombre de secteurs pour lesquels l’industrie automobile n’a pas de responsabilité directe et qui ne relèvent pas forcément de l’UE, l’évaluation en terme de cycle de vie ne peut être utilisée pour fixer quelqu’objectif que ce soit à des constructeurs de véhicules. Ceci conduirait à une situation intenable où l’on tiendrait l’industrie automobile pour responsable pour chaque maillon d’une chaine de valeur, y compris ceux qui ne seraient pas sous son contrôle."
Après avoir plaidé pour une approche holistique et prétendu prendre ses pleines responsabilités, ce refus affaiblit l’approche défendue.
Il indique que l’industrie entend minimiser les siennes à travers cette approche holistique plutôt que de les accepter.
De la même manière, après avoir dit que la rationalisation des systèmes de transport était une voie praticable pour les décarboner, l’ACEA plaide, pour terminer, pour la prise en compte des "dimensions économiques et sociales" et se pose alors en défenseur de l’emploi.
Le texte indique alors que "la mobilité doit rester accessible pour tous les citoyens européens où qu’ils vivent et quels que soient leurs moyens financiers", et ajoute "le transport routier de marchandise doit continuer de contribuer au bon fonctionnement des économies européennes".
Il s’agit là de deux incursions des constructeurs hors de leur domaine de compétence qui, à nouveau, semblent bien indiquer que l’approche holiste est, pour l’ACEA, bien plus une nouvelle manière de faire du lobbying que la marque d’une volonté d’exercer sur le processus de décarbonation une responsabilité mieux partagée parce que mieux définie.
 

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