L’industrie automobile allemande : un compromis en péril

France's team knocked out. And in the end, Germany wins?

Alors que l’industrie automobile française va, ce lundi, tenter de comprendre ce qui l’attend et tenter de faire pression pour que tous les soutiens lui soient apportés, les nouvelles de nos voisins allemands convergent pour indiquer que les années à venir vont être difficiles pour les constructeurs comme pour les équipementiers.
 
Après que Audi ait annoncé  en début de semaine dernière une réduction d’effectifs de 9500 personnes d’ici à 2025, c’est Daimler qui annonçait en fin de semaine la suppression de 10 000 emplois d’ici à 2022. Continental avait, il y a quelques semaines, annoncé de même un plan de réduction de ses effectifs de 20 000 (sur un total de 244 000 personnes) dont 7000 en Allemagne. "Au total, indique RFI, ces derniers mois les principaux constructeurs et équipementiers automobiles ont programmé près de 30 000 suppressions d'emplois" .
 
"Et ce n'est que le début. Selon une étude publiée l'an dernier par l'agence allemande pour l'emploi, quelque 114.000 emplois disparaîtront d'ici 2035 en raison du passage aux voitures électriques. L'Union de l'industrie automobile allemande (la VDA), a, elle, averti que 70.000 emplois seront menacés dans le pays au cours des cinq prochaines années à mesure que les entreprises abandonneront la production de voitures à moteur thermique", écrit Wansquare.
 
Même si la situation française n’a rien de rassurant, elle n’est pas tout à fait comparable pour au moins trois raisons.
 
La première est que la taille comme la dynamique des deux industries sont, en quinze ans devenues, très différentes : alors qu’en 2000, la France produisait 3,3 millions de véhicules légers et l’Allemagne 5,5 (1,8 fois plus), en 2015, la France a produit moins de 2 millions de véhicules et l’Allemagne plus de 6 : le rapport est passé à 3. L’emploi direct en Allemagne se maintient au dessus de 800 000 personnes alors que l’on dépasse à peine les 200 000 en France. La construction automobile qui occupait presque 200 000 personnes en 2000 n’en employait plus que 119 000 en 2015.  
Bref, nous avons moins à perdre dans la crise car notre industrie automobile a déjà décliné très fortement ces 15 dernières années. En effet, alors que les groupes allemands se sont internationalisés, en Europe comme globalement, en préservant leurs bases domestiques, les groupes français ont très largement eu recours aux délocalisations dans l’UE et au delà (Turquie et Maroc).
 
Il en résulte que la contribution de l’automobile au PIB, à l’emploi et au commerce extérieur est centrale et positive en Allemagne alors qu’elle est devenue relativement faible en France et, sur le long terme, plutôt négative. En terme de commerce extérieur, rappelons que depuis 2008, l’automobile française est déficitaire et, comme l’indiquait récemment l’INSEE, ce déficit se creuse et l’industrie automobile perd des places en Europe. La note indique d’ailleurs que :
"Les groupes multinationaux classés automobiles en France sont exportateurs nets de voitures particulières (solde de 2,9 milliards d’euros). Toutefois, les importations par ces groupes de voitures particulières sont élevées (10,1 milliards d’euros) en comparaison de leur production nationale (18,9 milliards d’euros). Ces importations par les groupes multinationaux classés automobiles en France représentent ainsi plus d’un tiers des importations totales de voitures particulières." 
Ainsi, la baisse des volumes vendus en Europe attendue en 2020 pèsera moins sur les volumes produits en France que les décisions de délocalisation qui ont encore été prises concernant la 208 ou la Clio 5. Tel n’est pas le cas en Allemagne.
 
La deuxième raison est que les sites français ne sont concernés que par les marchés européens alors que les sites allemands comme les sites anglais exportent hors de l’UE. Ainsi, en 2017, l’industrie allemande a exporté pour 64 milliards de dollars de pièces automobiles dont 24 hors de l’UE (9,45 vers la Chine et 5 vers les Etats-Unis) et pour 158 milliards de dollars de véhicules dont 67 hors de l’UE (13,6 vers la Chine et 21,7 vers les Etats-Unis) . 
La même année, l’industrie française exportait pour 18,4 milliards de dollars de pièces dont 3 hors de l’UE (500 millions vers la Turquie et 379 vers la Chine) et pour 24 milliards de véhicules dont 2,8 hors de l’UE (190 millions vers la Chine et 204 millions vers les Etats-Unis). 
Les risques commerciaux  sur la Chine et les Etats–Unis concernent l’industrie allemande dont les exportations vers ces deux destinations pèsent 50 milliards de $ - soit presque l’équivalent de 80% du Chiffre d’Affaire mondial de Renault. Ils ne concernent pas l’industrie française.
 
De la même manière, l’hypothèse d’un Brexit dur est beaucoup plus problématique pour l’Allemagne que pour la France. Nous ne vendions aux anglais en 2017 que pour 1,4 milliard de dollars de pièces et 1,6 milliard de dollars de véhicules. Les chiffres équivalents pour l’Allemagne sont de 4,7 milliards et 20,3 milliards. Les parts de marché des marques allemandes au Royaume Uni sont de l’ordre de 30% là où PSA est à  6% et Renault à 4% . 
Les voitures des marques allemandes sont très majoritairement assemblées en Allemagne, celle de marques françaises très partiellement.
 

Au delà de ces deux premières raisons qui concernent les sites industriels français et allemands, il y a les entreprises elles mêmes. Les équipementiers français et allemands se ressemblent en termes d’internationalisation mais il en va différemment des constructeurs. En effet, les concernant, les exportations allemandes vers la Chine et les Etats-Unis n’interviennent qu’en complément d’implantations importantes commercialement et industriellement dans ces pays qu’ils ont privilégiés dans leurs stratégies d’internationalisation. Dès lors leur exposition aux risques chinois et, dans une moindre mesure, américain est beaucoup plus forte que ne l’est celle des deux français quasi-absents de Chine et absents des Etats-Unis. A un moment où ils ont, comme tous les constructeurs, besoin d’investir massivement dans l’électrification, l’affaissement des résultats des constructeurs allemands associé aux millions de véhicules manquant par rapport aux prévisions est de ce fait beaucoup plus sensible que ceux des constructeurs français. Dans la mesure où les trois constructeurs ont donné aux analystes l’habitude de constater des résultats très flatteurs, justifier face à eux ces très lourdes dépenses au moment même où les résultats chutent est hautement problématique. Les plans de réduction d’effectifs sont là pour les rassurer. Ils risquent toutefois d’entamer le compromis social de l’automobile allemande qui a joué un rôle central dans son succès depuis au moins vingt ans.

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