PSA-FCA : l'ombre de Sergio plane sur l'opération

Some in the industry need a haircut
A mesure que se précisent les termes exacts du deal en cours de négociation et les réactions des marchés, les contours de ce 50-50 paraissent un peu moins "paritaires". En effet, les financiers calculent sur la base des valorisations respectives des deux groupes avant l’annonce du projet et des opérations qui vont être conduites avant le deal que l’on serait plutôt à 60-40 au profit de PSA et que PSA consent donc pour que le deal se fasse à un important sacrifice.
En effet, à la clôture de mercredi soir, la capitalisation de PSA s'élevait à 23,19 milliards d'euros quand celle de FCA s'établissait à 18,22 milliards d'euros. On a appris que, avant la réalisation de l’opération, FCA distribuerait à ses actionnaires un dividende exceptionnel de 5,5 milliards d’euros, ainsi que sa participation dans Comau estimée à 250 millions d'euros.

Simultanément, PSA distribuerait à ses actionnaires les 46% de parts qu'il détient dans Faurecia, valorisée 2,725 milliards d'euros.

La valeur respective des deux groupes corrigée de ces dividendes exceptionnelles s'élève donc à environ 20,5 milliards d'euros pour le français (62% de la valorisation combinée) et 12,5 milliards d'euros pour FCA (38%). Une fusion à 50-50 implique donc que PSA paie une prime de contrôle implicite de 32% à FCA, selon les calculs de Philippe Houchois de Jefferies.  
C’est ce qui expliquerait que les actionnaires de FCA, dont Exor, soient très heureux et ceux de PSA moins.

Les uns vont toucher 5,5 milliards d’euros en cash. Les autres 2,7 milliards en actions Faurecia qu’il faudra espérer pouvoir revendre à un cours au moins égal à celui d’aujourd’hui.

De surcroît, comme d’autres le soulignent, "FCA est nettement moins rentable en termes de marge opérationnelle que Peugeot (respectivement 4,6% contre 7,7%), le nouvel ensemble sera donc mécaniquement moins rentable que PSA pris isolément".

C’est également ce qui fait dire à Chris Hughes, éditorialiste à Bloomberg et spécialiste des "deals" que ce qui est appelé "fusion entre égaux" ressemble dans les faits bien davantage à une prise de contrôle de FCA par PSA : l’acceptation d’un tel "premium" est en effet constaté d’ordinaire dans ce type de configuration.

La composition du "board" qui comptera 6 PSA et 5 FCA et sera dirigé par Carlos Tavares porterait témoignage de la nature du deal qui inverse en quelque sorte ce que l’on avait craint lorsque le deal avec Renault avait été précisé.
Ceci a quelque chose de rassurant étant donné ce qui s’est passé chez FCA ces dernières années.

On peut en effet s’adosser à cette analyse pour nourrir l’espoir que Carlos Tavares pourra structurer avec les équipes américaines et italiennes un projet industriel et commercial plus proche de celui qu’il a conduit chez PSA plutôt qu’un projet financier qui soustrairait le nouveau groupe aux fortes exigences d’investissement qui pèseront sur lui. En effet, les mutations en cours qui caractérisent la période font peser de telles exigences sur tous les constructeurs.

S’y surajoutent dans le cas de PSA-FCA, les investissements qu’il faudra consentir pour remédier aux difficultés que rencontre FCA dès que l’on s’intéresse à d’autres dossiers que ceux de RAM et de Jeep.

En Chine et en Asie, en Europe, chez Chrysler, Dodge, Fiat ou Alfa Romeo, un important travail de reconstruction devrait s’ouvrir et il exigera à la fois une gouvernance claire et une certaine "patience" de la part de l’actionnariat.

Si tel devait être le cap pris dans les mois à venir, on serait rassuré mais les choses ne sont peut-être pas aussi claires.

La lettre de mission de Carlos Tavares pourrait être beaucoup plus "marchionnienne" que ce que l’opposition un peu simpliste entre FCA, entreprise américaine financiarisée, et PSA, entreprise française industrielle misant sur le long terme laisserait accroire.
En effet, certains d’entre nous se souviennent qu’il y a quatre ans et demi, Sergio Marchionne avait tenté de théoriser les raisons pour lesquelles il fallait impérativement constituer de très grandes entreprises automobiles.

Sa présentation s’appelait "Confessions of a Capital Junkie". Elle était sous-titrée "Réflexions d’un initié sur la manière de remédier à une dépendance au capital destructrice de valeur pour l’industrie"

Elle résume a posteriori assez bien à la fois comment il a mené la barque FCA, pourquoi une fusion était pour lui la seule issue envisageable et quel pourrait être le projet du nouvel ensemble et – donc – la lettre de mission de Carlos Tavares. Il y montrait que, en cumulant R&D et dépenses en capital, on faisait apparaître une croissance en 5 ans (de 2010 à 2014) des dépenses de l’industrie de presque 50 milliards d’euros (de 76 à 122 milliards) qu’il considérait comme insoutenable économiquement.

Il l’associait aux pressions règlementaires et commerciales et tentait de démontrer qu’aucune autre industrie n’était soumise à un tel appétit de capitaux et que cela expliquait la faiblesse des marges d’exploitation dans l’automobile.
L’origine de ce mal était de son point de vue associé aux dépenses des constructeurs pour développer et produire des "composants propriétaires" que les consommateurs n’étaient très souvent pas à même d’identifier.

La réduction du nombre de plateformes "actives" et la commonalisation des modules équipant différentes marques étaient de son point de vue des réponses mais elles étaient loin d’être suffisantes à en croire les retours sur investissements et les valorisations obtenues par les constructeurs.

Ceci s’expliquait par le fait que ces stratégies étaient menées souvent de manière trop timide et sans toute la discipline nécessaire et, surtout, la consolidation du secteur n’avait pas été menée à son terme.

Il en reconnaissait les risques et en identifiait même cinq principaux : les divergences culturelles, l’inégalité entre les parties intégrées, les différences radicales de modèles opérationnels, la sensibilité insuffisante aux différences entre marques et le manque de respect et/ou de confiance en l’autre. Mais il concluait que les économies potentielles étaient trop importantes néanmoins pour être ignorées : il serait possible en consolidant de réduire de 70% les investissements et la R&D et d’optimiser les "allocations industrielles" sans impacter le niveau de l’emploi.
Bertrand Rakoto expliquait vendredi dans sa chronique que, à la différence de ce que l’on pouvait dire en commentant le projet Renault-FCA, le PSA de Carlos Tavares n’est pas si éloigné de cette vision : "Les grands principes de restructuration appliqués par PSA sont basés sur la rationalisation des gammes et des marchés aux seuls produits et pays rentables, les décalages dans les calendriers financiers, le transfert de charges opérationnelles vers la sous-traitance et une R&D minimalisée."

Et, de fait, si PSA n’est pas au niveau minimaliste de dépenses en R&D de FCA (2,5% du CA), il n’est qu’un point au-dessus alors que Renault est plutôt à 5%. Il ne va pas s’agir par conséquent de profiter de la taille du nouvel ensemble pour investir massivement dans les technologies associées à l’autonomisation ou à l’électrification mais selon le mot de Marchionne de tenter de "faire plus avec moins" pour améliorer la profitabilité de l’ensemble et la capitalisation du nouveau groupe.
Le projet implicite ressort assez clairement comme un projet de consolidation/rationalisation confié à Carlos Tavares. Etant données les traces laissées par la gestion à l’économie de Marchionne sur au moins quatre marques (Fiat, Alfa Romeo, Dodge et Chrysler), va se poser la question de savoir ce qui va être considéré comme méritant d’être sauvé via un réinvestissement dans les marques et modèles adossé aux plateformes et moteurs PSA par rapport à ce que l’on considèrera comme des dépenses en capital indues.

Aux Etats-Unis en particulier, la marque Chrysler qui va finir l’année avec à peine plus de 100 000 véhicules vendus (- 23% au troisième trimestre) pourrait être en danger.

Pour Fiat en Europe qui ressemblait de plus en plus chez FCA à ce qu’était devenu Opel pour GM, il pourra s’agir de tenter de reconstruire une marque en reconstituant éventuellement une gamme sur la base des plateformes et moteurs de PSA.  On pourrait aussi considérer que l’entreprise est désormais trop compliquée et couteuse.

De même, dans la perspective de Marchionne, réduire drastiquement le nombre de "composants propriétaires" (moteurs et boîtes typiquement) comme le nombre de plateformes sera la première des priorités et ceci devrait se traduire par une réduction de voilure importante pour les ingénieries voire pour les usines mécaniques italiennes ainsi que l’a montré le précédent Opel-Vauxhall.

 

Pour prendre la tête de l’ensemble, il y a fort à parier que, au-delà du premium de 32% consenti à FCA, l’actionnariat de PSA et Exor se soient accordés sur un cap très marchionnien.

La presse américaine n’hésite pas d’ores et déjà à appeler Carlos Tavares le "nouveau Sergio" .

La chronique de Bernard Jullien est aussi sur www.autoactu.com.

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