2019 : année des arbitrages fondamentaux pour les constructeurs

Disruptive profit strategy : could Detroit mix oil and vinegar ?

The weekly column of Bernard Jullien , former director of Gerpisa, lecturer in economics (University of Bordeaux) and scientific advisor to the Essca Group's Chair of Network Management.

La saison des présentations de résultats se poursuit en ce mois de février et la plupart des grands constructeurs mondiaux indiquent, les uns après les autres, que 2019, comme les années suivantes sans doute, décevront les actionnaires.
 
Rares sont les constructeurs qui, comme FCA ou GM, ont réussi à améliorer leurs résultats sur l’année 2018.
FCA escompte néanmoins un exercice 2019 moins porteur. GM s’est déjà lancé dans un plan de préservation de sa profitabilité aux Etats Unis en novembre en supprimant 11 000 emplois. La plupart, comme Daimler ou Ford, ont déjà vu leurs résultats baisser en 2018. Ford espère faire mieux en 2019 grâce à un plan de restructuration de l’ensemble de ses activités assez drastique. 
Daimler a annoncé cette semaine que l’atteinte de ses objectifs de marges dans un corridor de 8 à 10% ne pourrait pas être espérée avant 2021.
 
Les vents contraires subis par l’industrie dans la seconde moitié de l’année passée et en ce début d’année sont assez bien identifiés. Les uns sont conjoncturels. Les autres plus structurels.
 
Sur le plan conjoncturel, en Europe, les coûts associés à la mise en conformité des véhicules et de leurs motorisations au WLTP et l’indisponibilité de certains produits que cela a pu générer ont pesé sur les résultats de beaucoup de constructeurs comme Ford ou Fiat.
Daimler en a également largement souffert dans sa division automobile et, plus encore, pour ses VUL. Fin 2018 et, plus encore, début 2019, c’est le lent retournement du marché qui se dessine, comme aux Etats-Unis.
 
Outre Atlantique, l’année 2018 s’est révélée plus porteuse qu’attendue puisque l’on s’attendait à une baisse par rapport aux 17,2 millions d’immatriculations de 2017 et que l’on a finalement observé un légère croissance du marché (à 17,3 millions). Dès lors que le marché a continué de se réorienter vers les chers et profitables light trucks et SUV au détriment des "cars ", les Big 3 ont continué de faire chez eux des profits considérables.
GM pense améliorer sa profitabilité en faisant l’hypothèse que le marché sera autour de 17 millions et continuera de favoriser des véhicules comme les Ford F-Series, Chevrolet Silverado et Ram Pickup qui ont constitué le top 3 du hit-parade 2018.
 
GM s’est débarrassé de l’hypothèque européenne. Ford est dans le rouge en Europe malgré une année 2018 plutôt porteuse encore. FCA doit ses résultats à RAM et Jeep et souffre en Europe.
Si, par conséquent, le marché faiblissait vraiment aux Etats Unis et redevenait un peu plus "raisonnable" en terme d’émissions et si, dans le même temps, les signes de faiblesse se confirmaient en Europe, les trois constructeurs seraient à la peine. Toyota en pâtirait mais n’a pas misé autant sur les pick-ups et est plus solide en Europe bien que fragilisé par le Brexit.
 
Ils le seraient d’autant plus que le relais de croissance et la source de profit qu’a pu constituer la Chine – pour GM en particulier – ne se présente pas sous les meilleurs auspices. La croissance n’est plus là et les exigences règlementaires sur les "new energy vehicles" sont conçues pour "siniser" l’automobile chinoise, non sans succès.
La "guerre commerciale" initiée par Trump rend presqu’impossible l’importation de véhicules assemblés aux Etats Unis en Chine. Elle pèse sur les coûts de matières premières et les constructeurs très exposés au "risque chinois" risquent fort d’être à la peine dans les années à venir.
 
Ainsi, sur le plan conjoncturel, Chine, USA et Europe n’incitent guère à l’optimisme pour la plupart des constructeurs mondiaux et on saisit pourquoi les prévisions de profit pour 2019 sont soit pessimistes comme chez Daimler soit optimistes en faisant sur les marchés des prévisions susceptibles d’être démenties.
 
Ces problèmes ne se posent pas, pour l’heure, en terme de survie des constructeurs qui dégagent des profitabilités qui, même en retrait, restent très élevées par rapport à ce que l’on observait il y a dix ou douze ans.
Ils n’en sont pas moins préoccupants car ils interviennent à un moment où il faut financer des investissements considérables pour prendre le virage.
Dans la mesure où les deux courses en question engagent les constructeurs entre eux d’une part et ces acteurs face à de "nouveaux entrants" dans le monde de l‘automobile souvent bien plus profitables et beaucoup moins soumis aux aléas conjoncturels évoqués, ces baisses de profitabilité et – surtout – les choix faits pour y faire face vont être déterminants.
 
De manière assez claire, va se trouver posée en 2019 la question de la financiarisation de l’industrie automobile.
En effet, si les exigences de l’actionnariat en termes de dividendes et de valeurs des titres prévalent, les aléas conjoncturels ne vont pas impliquer de variations à la baisse des dividendes et/ou des révisions à la baisse des programmes de rachats de titres. Alors, il faudra presque fatalement baisser les dépenses en R et D et/ou les acquisitions destinées à se doter des technologies et savoir faire.
Les constructeurs qui feront ces choix chercheront à "cacher la misère" en annonçant de multiples alliances et partenariats. Ils courront le risque de perdre l’une et l’autre des deux courses : ils perdront face aux constructeurs qui sauront se prémunir contre ces exigences indues ; ils devront laisser partir hors de leur maîtrise une part croissante de la chaine de valeur qui les concerne.
Inversement, si on considère que la "valeur future" de l’entreprise ne peut être préservée qu’en maintenant des investissements très lourds dans les nouvelles technologies en ne pouvant compter que sur d’hypothétiques retours sur investissements alors il faudra pendre le risque de demander aux actionnaires – et aux analystes – de considérer qu’il est normal et souhaitable que la distribution aux actionnaires soit, plutôt que l’investissement en R et D, la variable d’ajustement. On verra alors plonger le Revenu Par Action (RPA) sans forcément que ne chute la valeur des titres.
 
D’une certaine manière, l’opposition entre GM et Daimler peut illustrer ces deux manières de voir et de faire. GM prétend améliorer sa profitabilité en 2019 et Daimler accepte qu’elle baisse. GM choisit pour sauver sa profitabilité de tout miser sur des véhicules énormes et polluants, d’abandonner l’Europe et de tenter une négociation en Chine et a décidé d’augmenter les dividendes  pour 2018 et pour 2019.
Daimler maintient sa politique très volontariste d’électrification de ses gammes de VP, de VUL, de camions et de bus, maintient son engagement dans l’auto-partage avec BMW et Geely et développe ses offres de véhicules connectés et autonomes. Daimler a décidé de réduire son dividende de 3,65 à 3,25 euros.
 

Des entreprises comme Tesla ou Uber connaissent une valorisation folle en perdant de l’argent. Le titre Daimler a perdu 2% suite à l’annonce de ce très raisonnable ajustement de sa politique de rémunération de l’actionnariat nécessaire au maintien de ses capacités d’investissement.
Le jugement des marchés sur les capacités des uns et des autres à conduire ou à s’adapter aux évolutions de l’automobile et des mobilités semble bien constituer une boussole fragile. S’en prémunir plutôt que s’y soumettre pourrait bien devenir dans les années à venir la clé du succès durable.

La chronique de Bernard Jullien est aussi sur www.autoactu.com.

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