L’ouverture de Drivy aux professionnels : un appel au secours ou une stratégie impériale ?

Drivy... le contrat de confiance?

La presse, automobile ou non, a - à raison - souligné cette semaine l’évolution significative du business model de la plateforme Drivy qui est associée à sa quête d’un développement des offres professionnelles sur son site. Paulin Dementhon ne cache pas qu’il avait surtout pensé au départ aux locations entre particuliers. Il semble aujourd’hui convaincu que les 35 000 voitures qui sont présentes sur son site ne suffisent pas à rendre l’affaire pleinement convaincante. Et, même si il annonce ce chiffre aujourd’hui alors qu’il n’en revendiquait que 26 000 en avril dernier lorsqu’il a levé 8 millions d’euros pour racheter Buzzcar, le chiffre est effectivement bien faible. Il l’est évidemment d’autant plus que les 35 000 véhicules concernés ne sont pas disponibles en permanence et peuvent manquer à l’appel lorsque les potentiels locataires en ont besoin. Quant à l’autre chiffre qui a été diffusé ces jours ci, il fait état d’un nombre de journées de locations de 1 million qui a été dépassé : il correspond au cumul des locations effectuées depuis l’apparition du site en 2011.

Un calcul simple permet de saisir ce qui est en cause. Si, l’on fait l’hypothèse que la moitié de ce million a correspondu à l’année 2015 alors on aurait 500 000 journées de location associées à 35 000 véhicules. Ceci signifierait que chaque véhicule serait loué en moyenne 15 journées par an ce qui, à 25 euros jour, permettrait au propriétaire de gagner 375 euros. Il est fort probable que l’on ait plutôt une minorité de véhicule (5000 par exemple) qui soit loué 50 fois par an et qui rapporte 1250 euros alors que la majorité (30 000) sera loué 8 à 9 fois par an et permettront aux ménages loueurs de gagner un peu plus de 200 euros. D’évidence, sauf pour quelques uns qui y passent du temps, bénéficient d’une localisation avantageuse en zone dense et ont un véhicule courtisé, la mise en location de sa voiture représentera un revenu très marginal. Du côté des utilisateurs, trouver près de chez soi, le bon jour, le bon week-end ou la bonne semaine chaussure à son pied  sera dès lors difficile. Bref, tout indique que cette affaire a bien du mal à décoller et à convaincre de part et d’autre en l’état actuel des offres et des demandes.

Les deux questions qui se posent alors sont :
 1/ pourquoi cette offre peine à décoller ?
 2/ quelle peut être l’apport des professionnels et leur éventuel avantage dans cette affaire ?

A la première question, il faut chercher la réponse du côté de l’offre de locations. Soit on a une voiture fatiguée dont on ne se sert pas tout le temps, que l’on peine à entretenir mais que l’on aimerait pouvoir garder et on peut voir là une opportunité. Le problème est que les locataires risquent de ne pas se précipiter. Soit on a une voiture récente à laquelle on tient et que l’on n’a pas envie de voir abimée alors, parce que c’est contraignant et risqué, même si l’on s’en sert peu, aller gagner quelques dizaines d’euros sur Drivy ne rentrera probablement pas dans les priorités. C’est ainsi que la "place de marché" a toutes les peines du monde à recruter de bons offreurs. Malgré les "notations" des locataires par les précédents loueurs de leurs voitures et l’assurance spécifique fournie par Allianz, les propriétaires de bon matériel sont rares et il n’est pas sûr que le fait de pouvoir louer sans avoir à transmettre physiquement la clé et/ou la récupérer résolve le problème. En effet, comme le dit Paulin Dementhon lui même, le nœud du problème du développement de l’auto-partage réside dans la capacité des solutions proposées à créer de la confiance. Le problème du modèle de la "place de marché" est précisément là : c’est "l’anonymat" qui fait problème et dès lors tout ce qui l’affaiblit renforce la capacité de conviction de l’auto-partage entre particulier et tout ce qui l’accroît la réduit.

Dans ce contexte, aller chercher les professionnels pour les associer au développement de sa plateforme est à tort présenté comme une aumône qui leur serait faite, eux que menacerait le fulgurant développement de Drivy. La vérité est que la plateforme a d’abord besoin pour attirer des locataires de disposer de véhicules plus nombreux et de meilleure qualité : c’est donc d’abord pour avoir rapidement plus de 35 000 voitures à proposer que Drivy "repêche" les professionnels. En permettant à des loueurs de réduire l’oisiveté de leurs parcs quand leurs propres systèmes de recrutement des locataires n’a pas permis de le faire, Drivy leur permet de faire du "yield management" et de proposer une part de leurs parcs via sa plateforme. De même, les professionnels de la vente ou de l’après-vente (carrossiers inclus) sont invités à venir proposer leurs véhicules de courtoisie lorsqu’ils sont disponibles (le week-end en particulier). Il n’est pas question pour l’instant des parcs de VO qui, pour des raisons administratives, peuvent être "essayés" mais pas loués mais ceci pourrait s’envisager moyennant une évolution des règles. Drivy va ici chercher des voitures pour rendre sa plateforme convaincante pour les locataires. Ceci passe d’abord par le nombre de véhicules. Ceci passe aussi par la remise en question du modèle de la "place de marché".

En effet, au delà de la qualité des véhicules qui seront proposés et qui feront singulièrement baisser la moyenne d’âge du parc Drivy, les enseignes de location et le nom des garagistes, concessionnaires ou carrossiers viendront créer de la confiance chez des locataires qui se seraient méfiés d’un véhicule loué par un particulier. Dès lors que Drivy offrira aux professionnels des ressources additionnelles dont ils n’auraient pas bénéficié sans cela, il y a toutes les raisons qu’ils pratiquent des tarifs en phase avec ceux que les particuliers pratiquent entre eux. A soi seul, ceci peut faire décoller la plateforme, en augmentant et en diversifiant très significativement l’offre qui y sera présente d’abord et en corrigeant les carences du modèle marchand ensuite.

Si ce devait être le cas, alors ceci signifiera que le "tiers de confiance" n’est ni Drivy ni Allianz et que ce marché a besoin pour que la demande croisse significativement non seulement d’une importante baisse des prix par rapport à ce que l’on peut aujourd’hui trouver en LCD mais aussi de l’intervention de professionnels. Il faudra probablement alors en tenir compte du côté de l’offre et se demander si les propriétaires particuliers de véhicules n’ont pas besoin pour prendre l’habitude de les louer qu’on les rassure sur le sérieux du locataire et – éventuellement – qu’on fasse pour lui le tour du propriétaire au moment du retour. Qui mieux que les professionnels peuvent assurer cette mission, avec ou sans Drivy ?

La chronique de Bernard Jullien est aussi sur www.autoactu.com.

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