Pavlinek - Whose success? The state-foreign capital nexus and the development of the automotive industry in Slovakia

Type de publication:

Compte Rendu / Report

Source:

Compte rendu de la journée du Gerpisa 2019, Number 2019, CCFA (2016)

Notes:

Petr PAVLINEK
Professor, University of Nebraska at Omaha, USA and Charles University in Prague, Czechia

Texte complet:

Introduction
 
Comment la Slovaquie, petit pays sans réelle tradition automobile, est-elle devenue le premier pays producteur d’automobiles d’Europe (rapporté à la population), passant d’une production quasi- insignifiante en 1990 à près d’un million de véhicules en 2013, employant directement et indirectement plus de 60.000 personnes, représentant plus du quart des exportations et 20% des importations ? S’appuyant sur un texte paru en 20141, cette présentation s’intéresse, dans une perspective d’économie internationale et de géographie économique, aux investissements directs étrangers (FDI) dans ce secteur dans les pays d’Europe centrale et orientale (PECO), au rôle qu’a joué l’Etat dans le développement de l’industrie automobile en Slovaquie et l’intégration dans système global de production de ce pays périphérique du "cœur" de l’Europe, et aux caractéristiques d’une industrie automobile exclusivement tournée vers l’export mais qui a contribué à la rapide croissance économique du pays.
 
Au-delà des appréciations très positives faites par les observateurs et les prescripteurs internationaux, l’auteur pointe, à travers l’analyse de la place de la Slovaquie dans les chaînes de valeur et des conditions faites pour attirer les firmes étrangères et leurs investissements, les limites d’un développement fait au prix d’une dépendance excessive.
Avant 1990, l’industrie automobile en Slovaquie était quasiment inexistante. Des développements impulsés de manière centralisée pour des motifs politiques, mais aussi pour mieux employer la main d’œuvre slovaque, sous-utilisée, avaient conduit dans les années 1970 à faire produire en Slovaquie des parties de camions destinées à l’industrie tchèque, des tracteurs, ou des deux-roues motorisés, puis, peu de temps avant la chute du communisme, la décision avait été prise de construire des installations à Bratislava... sans logique industrielle : l’usine, surdimensionnée, n’avait initialement pas de véhicules à produire, avant qu’on lui confie une 2ème ligne pour Skoda.
 
A partir de la fin des années 1990, l’industrie automobile s’est fortement développée dans les PECO, sur la base de FDI fortement encouragés par des politiques publiques. Ces investissements étrangers dans le secteur visaient à développer les PECO comme une base de production exportatrice, en profitant de coûts du travail bien moindres qu’à l’ouest, d’une plus grande flexibilité de la main d’œuvre, de l’absence de syndicats, mais aussi de l’entrée dans l’UE et de la proximité d’avec les marchés occidentaux, dans la perspective du développement d’un marché local enfin. Le "stock" de FDI dans les PECO représente aujourd’hui environ 35mds d’€ (principalement en Pologne et en République Tchèque, de l’ordre de 10mds d’€ chacun, la République Tchèque se situant loin devant les autres en termes de "stock" de FDI par habitant). Il s’en est ensuivi une forte augmentation de la production dans la région : la production comprise entre 0,5 et 1 million de véhicules annuels dans les années 1990, est montée à 3 millions en 2014. La Roumanie, la Pologne, la République Tchèque, la Slovaquie, sont même les seuls pays où la production a continué à croître durant la "grande crise" de 2008-09. Il faut noter, cependant, que la production de poids lourds dans les PECO a été divisée par dix depuis 1989 ; celle des autobus a diminué de moitié.
 
Quel rôle a joué l’Etat dans l’attraction des FDI, et donc le développement de l’industrie automobile en Slovaquie après 1990 ? Après 1989, les stratégies d’industrialisation (et de restructuration des industries existantes) se sont largement appuyées sur les FDI. Les Etats des PECO se sont mués en « investment promotion machines », dont l’objectif était de créer des conditions favorables pour les firmes multinationales, en particulier celles identifiées comme de grands investisseurs "stratégiques". Menés dans un contexte général d’affaiblissement des capacités des Etats, ces choix les ont placé dans un cercle vicieux, les affaiblissant encore plus, dans la mesure où tous les PECO, caractérisés par leur marché intérieur réduit, leur structure et leur dotation en facteurs concurrentiels comparables, ont cherché à poursuivre la même stratégie. Ceci a permis aux firmes multinationales d’arbitrer entre Etats et d’opter pour les « competition states » offrant les conditions les plus favorables. Cette lutte pour offrir les meilleurs termes aux investisseurs a limité les bénéfices économiques qu’ils pouvaient escompter de ces FDI. L’auteur parle de « corporate capture », telle que les institutions et ressources nationales et locales en viennent à servir les intérêts des multinationales au détriment de la population et du tissu économique indigène. L’Etat fournit par exemple les ressources pour réduire le coût total des investissements privés : infrastructures adaptées, mise à disposition et aménagement de sites greenfield, formations répondant aux besoins des grands investisseurs, donnant à ceux-ci une influence disproportionnée sur les politiques économiques, de formation, qui place leurs intérêts au-dessus de ceux des firmes locales et des habitants. La concurrence régionale pour les FDI, fondée sur un coût du travail bas, une main d’œuvre relativement qualifiée mais flexible et plus docile, rend peu probable la perspective d’une montée des compétences, laissant entrevoir le syndrome des maquiladoras : salaires et productivité faibles, production tournée vers l’exportation, importation des composants à haute valeur ajoutée. L’auteur parle donc « d’économie de marché dépendante » – des capitaux étrangers, des transferts de technologies – fragilisée par la nature de ses avantages comparatifs, et de « développement tronqué » limité à des activités à basse valeur ajoutée, celles à haute VA (fonctions de contrôle, R&D, marketing, politique de "pricing") demeurant dans les pays avancés du cœur géographique. Si ce mode de développement a eu pour effet une forte croissance et une rapide industrialisation, le développement d’un réseau de fournisseurs, dont la colocalisation est impérative, renforçant par ailleurs l’ancrage territorial des investisseurs, les perspectives d’amélioration sont limitées.
 
La Slovaquie compte désormais 4 grandes usines d’assemblage automobile, et le réseau de fournisseurs associés, essentiellement regroupés à l’ouest du pays. Comment est-elle arrivée à ce résultat ? A la sortie du système communiste, le choix résidait entre l’abandon pur et simple de la production automobile, la focalisation sur la production intermédiaire, ou la recherche d’investisseurs étrangers. Les premières années de transition économique et d’indépendance de la Slovaquie (1993) le pays est peu ouvert aux FDI et la croissance économique faible. C’est à la fin de la décennie 1990, sous la pression de l’UE, du FMI, de la Banque Mondiale, mais aussi stimulé par l’exemple du voisin tchèque (qui mène une politique fiscale agressive : réduction des taux d’impôt sur les sociétés, flat tax, arrangements fiscaux avec les firmes multinationales, et libéralise le marché du travail) que le pays va s’ouvrir aux FDI. La stratégie fixe des objectifs à horizon 2010 en termes d’emploi, de production, visant à l’installation d’au moins une usine d’assemblage automobile, et de fournisseurs, et se base sur une politique d’incitations aux investisseurs étrangers (fiscalité, suppression des barrières douanières). L’Etat s’engage à apporter un soutien financier à l’industrie automobile (aides à l’exportation, à l’emploi, aux restructurations, à la R&D, à la formation, développement d’infrastructures) et se lance dans une politique de recherche d’investisseurs, coordonnées par le Ministère de l’Economie.
 
Le groupe Volkswagen est le premier à se lancer, d’abord au moyen d’une joint venture avec le constructeur BAZ de Bratislava en 1991, l’acquisition complète étant réalisée en 1994. A cette
époque, le coût du travail en Slovaquie est inférieur de 10% à l’Allemagne, et l’Etat accorde des réductions fiscales supplémentaires, et de nombreuses aides indirectes (développement de logements, d’infrastructures, fourniture de terrains aménagés). Celles-ci vont conduire VW à délocaliser une partie de sa production en Slovaquie. VW investira dans une autre usine (Martin) ; aujourd’hui les usines slovaques assemblent plus de 400.000 véhicules VW, exportés à plus de 99%. PSA a habilement su attiser en 2003 la concurrence internationale entre République Tchèque, Pologne, Hongrie, et Slovaquie. Pour être retenue, cette dernière a fourni des aides contenues dans les 15% des 700M€ du montant de l’investissement (fiscalité accommodante, subventions à l’emploi, assistance pour le recrutement, formation, construction de logements...).
Le constructeur coréen KIA a lui investi 1,5mds d’€ sur le site de Zelina, et fait jouer le « competition state » peut-être au-delà des limites autorisées par l’UE : aides directes, infrastructures, subventions à l’embauche, formation, écoles, logements, législation ad hoc...
Le fabricant de pneus Hancook a fait jouer la concurrence entre pays d’accueil et a finalement préféré s’installer en Hongrie, plus généreuse que la Slovaquie.
Le cas slovaque illustre les imites des liens entre Etat et capital étranger : faibles perspectives de montée dans la chaine de valeur, baisse des dépenses privées de R&D, dépendance aux décisions stratégiques des constructeurs étrangers, développement géographiquement inégal, croissance atteinte au prix de la soumission des politiques publiques aux intérêts des firmes multinationales. Les effets positifs de long terme semblent limités : faible développement des fonctions nobles, impact limité sur les firmes locales, position subordonnée dans le système mondial de production, dépendance au capital étranger.
Toutefois, le risque d’une "migration" de ces FDI est modéré, tant les facteurs demeurent : rattrapage salarial limité (coût du travail passé de 10% en 1997 à 25% en 2012 du coût du travail en Allemagne – 20€/h vs 80€/h – par ailleurs la pression sur les salaires va perdurer et, sinon en Slovaquie, membre de l’UEM, des dévaluations peuvent prendre le relais pour maintenir la compétitivité), proximité des marchés, appartenance à l’UE, effet d’ultime frontière par rapport à des pays situés plus à l’Est et notoirement plus instables.

Questions : quelles solutions ? Les problèmes soulevés appellent naturellement un certain fatalisme, et ce pour deux raisons : du point de vue de ces pays, cette situation n’est-elle pas préférable à pas d’industrie automobile du tout ? Comme il a été constaté au sujet de l’Espagne, par définition seuls les sites ayant survécu à la Grande dépression conservent un potentiel de progression en termes de production, de compétences, ou de gains pour les salariés. Indirectement bien sûr, ces sites se sont clairement développés, comme la fermeture d’Aulnay l’aura in fine montré, au détriment de sites situés dans les régions historiques. En cela, la stratégie des PECO ne fait que s’inscrire dans la course engagée par pays et les territoires pour conserver ou développer leurs usines au détriment des conditions salariales et de travail et des retombées positives sur les stakeholders. Avec, de surcroît, un élément renforçant ce phénomène dans le cas des PECO : la fragmentation d’un espace productif doté de caractéristiques comparables entre une demi douzaine de petits Etats engagés dans une concurrence sans merci. 

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