Sergio Marchionne et Mary Barra : deux managers qui murmurent à l’oreille des investisseurs

Mary Barra Swiped Left on Sergio Marchionne’s Merger Proposal

Dans une interview qu’il a donnée à Automotive News récemment, le patron de FCA est revenu à la charge pour indiquer qu’il n’était pas raisonnable de la part de Mary Barra et de ses équipes de ne pas entrer en discussion avec lui sur une possible fusion entre son groupe et GM. Cette fois, affirme-t-il, il a fait tous les calculs, envisagé toutes les alternatives, examiné les choses de son point de vue de dirigeant de l’improbable ensemble Fiat-Chrysler mais aussi du point de vue de GM et de ses investisseurs : cette fusion doit impérativement se faire car elle augmenterait considérablement la profitabilité de l’ensemble et comblerait les détenteurs de titres.

Le cœur de l’argument marchionnien est maintenant bien connu largement popularisé et est une vieille antienne dans l’automobile : l’industrie automobile est une industrie lourde qui – selon Marchionne – s’alourdit plus encore aujourd’hui car les technologies à développer sont multiples et exigent des investissements très lourds ; dans la mesure où les consentements à payer pour les innovations ainsi développées sont faibles, les profitabilités sont – pour les investisseurs – bien peu enviables ; il est dès lors urgent d’engager un très ample mouvement de consolidation pour être à même de répartir les coûts concernés sur le plus grand nombre de véhicules commercialisés possible. En constituant le plus grand groupe mondial, la fusion dont il rêve donnerait le la, démontrerait combien il a raison et obligerait très rapidement les autres à lui emboîter le pas.

Face à cet argumentaire de facture "dissertation de MBA", on connaît tout autant les objections : l’automobile a mesuré moultes fois (avec Daimler-Chrysler en particulier) la distance qu’il y a entre les synergies théoriques exhibées pour défendre les fusions et celles que, après X années, on finit par dégager. Dès lors l’arithmétique de la fusion FCA-GM que Sergio Marchionne aimerait avoir le loisir de présenter à Mary Barra a quelques sérieuses raisons d’être mise en doute et, chez GM dont les – presque - 100 ans d’histoire sont faites de cette permanente quête de synergies entre entités distinctes, on peut comprendre que l’on n’ait pas de temps à perdre à en écouter l’exposé. S’ajoutent à cela l’évidente asymétrie entre les deux parties à la fusion envisagée et la réitération par les managers de GM de leur fin de non recevoir pour rendre cet acharnement de Marchionne bien peu compréhensible : il semble ne récolter que des railleries et/ou des propos bien peu amènes des commentateurs et de l’encadrement de GM et personne ne semble envisager sérieusement que son entreprise puisse aboutir.

On pourrait avoir l’impression en effet que, au delà du fait que l’un a besoin de l’autre et l’autre non, on aurait d’un côté un financier chargé de gérer les actifs de la famille Agnelli au mieux de ses intérêt en organisant au mieux son retrait des peu juteuses activités de la construction automobile généraliste et de l’autre des industriels expérimentés animés par un projet productif et rétifs aux sirènes du court-termisme boursier. Et effectivement, lorsque Mary Barra indique qu’elle est trop occupée à organiser la fusion au sein même de son groupe en y faisant enfin jouer à plein les synergies pour s’encombrer d’une nouvelle entité hétérogène à intégrer, son propos paraît renvoyer à une rationalité managériale et industrielle bien étrangère à Sergio Marchionne.

Cette lecture européenne est pourtant bien loin des réalités : avant la grande crise de 2008-2009 comme depuis l’épisode de la nationalisation salvatrice, le management de GM est resté très attentif aux investisseurs et n’a, au fond, jamais abandonné les préceptes du "Share Holder Value Management". Notre collègue Willam Lazonick de l’Université Lowell du Massachussets avait déjà calculé que les rachats de titres auxquels GM a procédé entre 1986 et 2002 avaient représenté en brut 20,4 milliards de dollars et que, en appliquant un très modeste taux d’actualisation de 2,5% aux sommes concernées, on parvenait à 35 milliards en 2008. Ces rachats de titres mobilisent du cash ou génèrent des dettes pour soutenir le cours ou éviter une trop grande dispersion de l’actionnariat. De fait, pour l’entreprise, ils correspondent à un affaiblissement de ses facultés d’investissements au profit d’une distribution de valeur aux actionnaires qui vient s’ajouter à sa politique de dividendes.  

Certes, en 2009, l’Etat américain a injecté 49,5 milliards de $ et l’Etat canadien plus de 10, soit pas loin de deux fois plus. Il n’en reste pas moins que sans ces rachats massifs de titres durant toutes ces années, il y tout lieu de penser que les contribuables américains n’auraient pas eu à se substituer aux banquiers et Hedge Funds dont GM ne pouvait espérer le soutien en 2009. Le même Lazonick a bondi sur son ordinateur en mars dernier lorsque GM a annoncé un programme de rachat de titres à hauteur de 5 milliards qui venaient indiquer que, pour GM comme pour les autres grandes entreprises américaines, la parenthèse de 2009 avait été bien vite refermée  : les méfaits de la financiarisation et des errements managériaux à laquelle elle a conduit ont, pendant quelques mois, été liés à l’état dans lequel se trouvaient les entreprises lorsque leur sauvetage a du être entrepris ;  ce n’était déjà plus le cas deux ans plus tard et ce programme de rachats indique que, en 2015, GM est géré comme avant 2009.

Ceci indique que la bonne lecture de l’épisode que nous vivons n’est pas celle évoquée qui présenterait Mary Barra comme une adepte des stratégies industrielles de long terme. Tout au contraire, la défense du refus de fusionner avec FCA quelle propose et qu’un récent article paru dans Automotive News il y a une semaine explicite, accepte tous les prémisses du raisonnement marchionnien au terme duquel il faut être extrêmement vigilant et tout faire pour ne pas se laisser emporter par une imbécile persévérance d’industriel. L’auteur écrit : "Le management de GM a adopté une approche rigoureuse en matière de dépenses en capitaux et a placé ses jetons là où il percevait le potentiel de croissance le plus grand (Cadillac en Chine ou la connexion 4G des véhicules par exemple) tout en retirant de la table tous ceux qui méritaient de l’être (en sortant de Russie ou en sortant Chevrolet d’Europe)." Clairement il s’agit de convaincre les Hedge Funds et investisseurs qu’ils sont très bien traités par le management de GM et qu’ils n’auraient pas mieux s’il écoutait Marchionne. Dès lors que c’est de cela et de cela uniquement qu’il s’agit, on peut comprendre que Marchionne ne désarme pas : les "esprits animaux" à l’oreille desquelles les deux murmurent pourraient bien finir par l’entendre …

La chronique de Bernard Jullien est aussi sur www.autoactu.com.

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