La grande bataille du véhicule connecté est lancée
La chronique hebdomadaire de Bernard Jullien directeur du Gerpisa et conseiller scientifique de la Chaire de Management des Réseaux du Groupe Essca.
PSA avait annoncé en juin que les écrans des véhicules des trois marques pourraient bientôt accueillir Mirror Link, CarPlay et Android Auto (1). Opel, nous racontait X. Champagne la semaine dernière, lance son système On Star déjà éprouvé sur le continent américain en Europe. Tesla propose à ses clients des « actualisations » de leurs véhicules qui viennent activer ou améliorer à distance certaines de leurs fonctions (2). E. Musk avait en mars présenté la chose ainsi : "Nous avons dessiné la Model S comme un super ordinateur roulant […] elle est pensée comme un smartphone ou un PC. Cela vous paraît normal de mettre votre téléphone à jour. Et bien c’est la même chose pour la Model S."
Sans verser dans le futurisme prophétique, il n’est plus aujourd’hui possible de penser l’automobile sans saisir les enjeux de cette interpénétration entre les univers du logiciel et des télécommunications et celui des constructeurs, de leurs réseaux et de l’ensemble des systèmes automobiles. Cette interpénétration est d’abord celle qui s’opère dans les pratiques et références des clients automobilistes qui n’attendent pas que leurs véhicules soient connectés pour opérer la jonction entre les deux univers. Elle amène actuellement les constructeurs à tenter de les rattraper pour ne pas les perdre et/ou laisser à d’autres le soin d’organiser les interactions.
Interrogée par F. Lagarde lors du colloque organisé par Wave et le CNPA le 30 juin, la "Femme automobile de l’année", B. Courtehoux, directrice de la business unit véhicules connectés et mobilité chez PSA, indiquait que l’expérience qu’ont les clients est aujourd’hui largement structurée par les réponses quasi-instantanées qui leur sont fournies dans l’univers du web et de la téléphonie. Devoir attendre de passer au garage voire de changer de voiture pour régler son problème ou accéder à une amélioration ou à une nouvelle fonctionnalité leur devient alors insupportable. Pour une fonction comme la navigation qu’offrent concurremment les constructeurs et les smartphones, cette différence de réactivité et de praticité est palpable et amène beaucoup d’automobilistes à préférer l’inconfort du tout petit écran de leur smartphone à celui dont le constructeur a équipé leurs véhicules. Elle amène aussi certains clients à rejeter l’option et à priver le constructeur de la "valeur" correspondante que son bien peu convivial système captif n’a pas pu défendre.
Dans un contexte où le véhicule lui même perd de son attrait pour beaucoup de clients, la capacité de le connecter correctement devient fondamentale et pose ainsi aux constructeurs de très lourds problèmes stratégiques. Opel prend le risque de rester pour l’essentiel sur une solution "constructeur". Cela implique des coûts élevés puisqu’il faut mettre en place des équipes aptes à répondre dans toutes les langues aux usagers sans pouvoir, dans un premier temps au moins, couvrir les dits coûts par les abonnements. Cela implique également des risques importants. Le premier est un risque d’insatisfaction car le système promet beaucoup et il suffit de mal guider un conducteur ou de mal diagnostiquer son véhicule pour que l’avantage concurrentiel devienne un lourd handicap. Le second est économique car l’exemple américain semble indiquer que les abonnés génèrent volontiers des appels en très grand nombre pour des motifs pas toujours fondés.
PSA semble tirer dans le domaine de "l’infotainment" les leçons de l’histoire de la navigation et avoue en quelque sorte ses limites à offrir sur son système aussi bien que les grands de l’autre univers. Dans le même temps, précisait en juin Fernandez Barciela Antonio Eduardo, directeur projet R&D véhicule connecté chez PSA, "le système d’infotainment et la connexion aux données véhicule sont strictement séparées, pour des raisons de sécurité". Le constructeur développe pour cela une architecture logicielle connectée directement au cœur véhicule qui permettra à PSA de proposer des applications utilisant ces données. Baptisé Car Easy Apps, ce soft restaure autour du cœur du métier du constructeur et du réparateur la barrière qu’il a accepté d’abaisser sur la gestion des mails ou de la musique : Google ou Apple ne pourront pas proposer à Mobivia ou à AD de gérer les diagnostics et/ou d’effectuer des actualisations équivalentes à celles proposées par Tesla.
Bien évidemment, la légitimité de cette barrière est d’abord sécuritaire. Elle renvoie également à des questions de propriété intellectuelle. Elle a aussi deux grandes vertus économiques. La première correspond au fait qu’une part des options facturées aujourd’hui (les régulateurs de vitesse par exemple) renvoie essentiellement à de simples activations du soft sur des véhicules prédisposés. Dès lors, le pricing des gammes a un besoin vital d’être protégé contre l’activation libre de toutes les fonctions qu’impliquerait l’accès aux données véhicules. La seconde correspond bien sûr aux barrières à l’entrée en après-vente que les constructeurs espèrent ainsi ériger. Etant donnée l’histoire de ce secteur et du droit de la concurrence qui s’y applique, les barrières en question ne pourront être que partielles et le client qui restera propriétaire des données sur son véhicule pourra en offrir l’accès à d’autres à des conditions qui restent à préciser à ce jour.
On le comprend, les constructeurs ont une très vive conscience aujourd’hui de la nécessité pour eux d’aller très vite sur ce terrain pour suivre leurs clients qui s’y sont déjà engagés sans eux. Il leur faut pour cela rentrer dans un univers qui n’est pas – à l’exception de Tesla – le leur. Perdre la bataille de l’infotainment pour gagner celle des données véhicules semble aujourd’hui une position de repli tenable. Les questions de concurrence sur les marchés de l’après-vente, de l’assurance, de l’assistance ou de la garantie vont se multiplier et façonner des compromis qui révèleront dans les années à venir jusqu’à quel point ce repli startégique suffisait à assurer aux constructeurs la faculté de ne pas perdre la bataille du véhicule connecté.
(1) http://www.usine-digitale.fr/article/psa-ouvre-ses-voitures-a-apple-goog...
(2) http://www.01net.com/editorial/641388/tesla-model-s-incroyable-une-mise-... ou http://www.01net.com/editorial/649708/tesla-model-s-une-mise-a-jour-la-r...
La chronique de Bernard Jullien est aussi sur www.autoactu.com.
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