La Kwid : une bonne occasion de calmer les ardeurs règlementaires ?
Soumis par Bernard Jullien, Université de Bordeaux le 26 mai 2015 - 06:00
La chronique hebdomadaire de Bernard Jullien directeur du Gerpisa et conseiller scientifique de la Chaire de Management des Réseaux du Groupe Essca.
Le travail fait par les équipes Renault-Nissan pour être à même de présenter le 20 mai 2015, trois ans après le démarrage du projet, un vraie voiture conçue sur une nouvelle plateforme, dotée d’un nouveau moteur et d’une nouvelle boîte de vitesses et proposée à un prix de vente client à peine supérieur à 4000 de nos euros mérite d’être salué. Il renvoie à un savoir-faire, à une maîtrise technique et à une capacité d’innover hors du commun qui sont mis au service d’un programme qui n’a pas, pour une fois, vocation à proposer toujours plus du même mais qui, en cherchant à rester dans une enveloppe de coûts très contrainte, oblige à travailler aux limites et à se demander en permanence ce que l’on doit garder et/ou ce à quoi on peut renoncer pour que la voiture reste une voiture et soit in fine si possible une belle voiture.
On ne saurait prédire aujourd’hui le sort que le marché indien puis les autres réserveront à la Kwid. On ne peut à ce stade, après avoir vu la voiture et lu les commentaires que la presse internationale lui a consacré, que souligner que l’Alliance a su cette fois revendiquer le projet comme un progrès pour les deux entreprises et pour l’industrie : contrairement à ce que beaucoup d’analystes et de parties prenantes à la vie de l’industrie ont imposé depuis des années comme conception dominante de ce qu’il convient de faire pour réussir dans l’automobile, la "montée en gamme" n’est pas une "one best way". Les constructeurs qui sauront s’en convaincre et prendre le large pour explorer d’autres perspectives peuvent trouver, en abordant d’autres territoires, des technologies et des clients qui leur assureront une croissance et une rentabilité au moins égale à celles que l’acharnement à s’imposer sur le terrain des allemands promet.
L’Inde est d’évidence une terre sur laquelle cette prise de distance par rapport à la recette universelle du succès s’impose. Elle n’est pas, loin s’en faut, la seule et, même si Carlos Ghosn et ses équipes se sont refusés à quelqu’annonce claire de développement des ventes et fabrications de Kwid hors d’Inde, tout le monde a bien compris que, sous les dénégations, ces perspectives étaient ouvertes. Etant donnés les marchés qui ont fait le succès de Logan et de ses trois petites sœurs, Brésil, Russie et Europe ont volontiers été évoquées. Dans tous les cas et, en particulier, dans le dernier, la question clé est alors celle de savoir si les contraintes règlementaires qui pèsent aujourd’hui sur un constructeur au moment où il souhaite faire homologuer un produit permettront à un produit comme Kwid de rester à un prix de revient de fabrication suffisamment bas pour que le prix de vente client permette l’émergence d’un "nouvel Entry".
Etant donnée l’inflation règlementaire qui prévaut en Europe, il y a effectivement de quoi se poser la question : entre Euro 6, les étoiles EuroNCap, l’ESP, le contrôle de pression des pneumatiques, le e-call et l’ensemble des dispositifs que les équipementiers ont mis dans la file d’attente bruxelloise pour s’ouvrir, au nom de la sécurité routière et/ou de la protection de l’environnement, de nouveaux marchés, tout le monde a bien compris qu’un produit comme la Kwid risque d’avoir du mal à trouver une équation économique tenable. De surcroit, on peut se dire que si, pour 2017 ou 2018, cette quadrature du cercle était résolue, elle pourrait en 2020 ou 2022 cesser de l’être si les habitudes prises à Bruxelles ne sont pas remises en cause.
On a en effet saisi que, pour réussir la Kwid, les équipes d’ingénierie avait, sur un véhicule de 3,68 m, cherché à gagner des kilos de manière à ce que, même en étant mue par le nouveau moteur de 800 cm3, elle ait des performances satisfaisantes à mettre au service du transport de 5 occupants plutôt qu’au service du déplacement de centaines de kilos de tôle, d’équipements et de renforts. Si l’on regarde les statistiques européennes, il est très clair que ces choix techniques conduisent à accoucher d’un véhicule qui, vu d’Europe, nage à contre-courant. Nous avons, pour le vérifier, construit sur la base des données fournies par l’International Clean Car Transportation un tableau comparatif des caractéristiques des véhicules immatriculés en Europe en 2003 et en 2013.
Il en ressort que l’inflation règlementaire a conduit les véhicules à devoir s’alourdir de plus de 100 kg, à s’allonger de 10 cms, à s’élargir de 5 et à être vendues 4650 euros plus chères. Certes, dans le même temps, les consommations et émissions de CO2 normalisées ont été significativement réduites mais il est clair qu’elles l’auraient été plus significativement encore si on n’avait pas connu la dérive exhibée ici (voir le tableau de synthèse de l'évolution moyenne des poids, dimensions, et consommations des véhicules en Europe et par marque). Il est non moins clair que c’est le parc qui émet, consomme et a des accidents et non pas les quelques véhicules que l’on introduit comme véhicules neufs chaque année. Le renchérissement ralentit le renouvellement et réserve les véhicules les plus propres et les plus sûrs aux pays et populations les plus solvables.
La question collective que pose l’éventuelle "européanisation" de la Kwid est celle de savoir ce que nous gagnons et/ou perdons collectivement à voir les arbitrages rendus ainsi en Europe. La Kwid serait en effet un produit d’un mètre plus court qu’un véhicule moyen européen, 2,77 fois plus léger et surtout quatre fois moins cher. Elle offrirait, comme la gamme Dacia le fait déjà, une alternative neuve à des acheteurs de VO ancien et proposerait ainsi aux sociétés européennes de faire, par le rajeunissement du parc et la démocratisation d’une part du progrès réalisé par l’industrie, une part du chemin vers la réduction des émissions que l’on ne cherche aujourd’hui à obtenir qu’en alourdissant les contraintes sur le neuf sans renoncer aux puissances, vitesses et encombrements des véhicules. Bien évidemment, la réponse à la question de "l’intérêt collectif" dépend assez clairement de l’identité des parties prenantes : à bien lire le tableau, il semble que consommateurs ou constructeurs non allemands risqueraient d’avoir, si le débat s’ouvrait enfin, une perception du débat fort différente de celle qui s’est imposée au fil des ans.
La chronique de Bernard Jullien est aussi sur www.autoactu.com.
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