Fiat-Chrysler ou comment une victoire à la Pyrrhus sur le plan industriel peut devenir un triomphe médiatique ?
La chronique hébdomadaire de Bernard Jullien directeur du Gerpisa et conseiller scientifique de la Chaire de Management des Réseaux du Groupe Essca.
Fasciné par l’habileté du jeu à plusieurs bandes qu’a su concevoir Marchionne pour terminer assez joliment sa prise de contrôle total de Chrysler par Fiat, la presse d’affaire fait bien peu de cas du fond du dossier et escamote volontiers les vraies questions :
- quelle est la cohérence de l’ensemble ainsi formé ?
- que s’est il passé depuis quatre ans et demi qui indiquerait que les synergies initialement promises commencent à se nouer ?
- en quoi les sommes consacrées par Fiat et Chrysler à finaliser la fusion en reprenant les parts du Fonds VEBA à l’UAW sont elles mieux utilisées là que si elles l’avaient été pour refaire une part du retard criant qu’ils ont accumulé l’un et l’autre en matière technologique comme de développement dans les émergents ?
Il suffit en effet de formuler ces trois questions pour saisir que le "story telling" de Marchionne ne fonctionne que par une espèce de fascination malsaine pour l’habileté du camelot qui semble se substituer souvent dans les médias à l’intérêt pour les affaires industrielles. Trop heureux de nous conter la manière dont la patate chaude du coût de l’opération (4,35 Milliards de $) est passée, grâce à la Maestria de Marchionne, de Turin (qui déboursera 1,75 milliard) à Detroit (1,95 + 700 millions) ou de reprendre à leur compte le boniment du même sur la capacité de Fiat-Chrysler à faire désormais concurrence à Toyota, GM ou VW, les commentateurs ne challengent guère le discours qu’on leur sert.
Pourtant, si l’on s’amuse par exemple à "googliser" "synergies Fiat Chrysler", alors on trouve d’assez nombreuses références en 2009 puis celles-ci se raréfient à mesure que l’on s’approche du présent : et pour cause ! A part le fait que l’un est au cœur de la partie sinistrée d’un marché sinistré alors que l’autre fait 11,5% d’un marché en forte croissance avec de monstrueux Dodge RAM ou des Jeep Grand Cherokee produites dans quelques sites rescapés de la tornade 2008, lesdites synergies sont bien minces.
Faisant exception au concert des aveuglés par l’habileté de Sergio, D. Pearson et C. Rogers dressaient, dans le Wall Street Journal de jeudi, la longue liste des ombres au tableau que le Maestro fait peindre par la chronique :
- les ventes des Fiat 500 et Alfa Romeo aux Etats-Unis sont confidentielles ;
- la même chose est vraie des modèles Chrysler ou Dodge rebadgés Lancia ou Fiat en Europe ;
- la Dodge Dart seul modèle conçu par Fiat et badgé par Chrysler est un bide commercial ;
- les synergies technologiques vendues en 2009 par Marchionne à Obama persuadé que les Big 3 devaient accomplir une révolution à l’Européenne pour rentrer dans l’ère des ressources fossiles rares sont aujourd’hui quasi-nulles et Chrysler reste positionné principalement sur les Pick-Ups et les SUVs faciles à produire et à concevoir alors que ses sedans ne convainquent guère ;
- les projets d’utiliser l’outil industriel de Chrysler pour fabriquer des Alfa ou des Maserati ont fait long feu ;
- le retard technologique de Chrysler – sans parler de celui de Fiat – reste patent et les notes obtenues par l’entreprise aux derniers "awards" américains de l’efficience énergétique en ont témoigné (*) ;
- quant à l’inter-continentalisation de Fiat ou de Chrysler, elle n’est pas plus avancée aujourd’hui qu’il y a quatre ans et demi…
Bref, si l’on veut bien se donner la peine de passer quelques minutes à se demander si tout cela tient la route, on a vite fait de constater que les doutes que l’on pouvait nourrir en 2009 ne sont pas dissipés quand on reprend le dossier presque cinq années plus tard. La fusion ne peut transformer deux faibles en un fort que si les deux entités ne partagent pas que l’énergie de leur management.
Pour qu’il en soit ainsi, étant données les différences structurelles des deux marchés et le fait que lesdites différences soient renforcées dans le cas présent par le fait que Fiat a un positionnement en entrée de gamme en Europe alors que Chrysler est devenu principalement un producteur de voraces SUVs et Pick-Ups, il faut - faudrait ? aurait fallu ? – que la quête de ces synergies devienne une priorité stratégique. Ceci signifierait que les plages de compatibilité entre les gammes et technologies de l’un et de l’autre soient isolées et systématiquement exploitées, que le développement dans les émergents soit conçu pour les valoriser, que les alliances ou partenariats couvrent les domaines où les deux sont faibles …
Ceci exige des moyens, du temps et de la constance. Marchionne a mis toute son énergie jusqu’ici à obtenir 100% du capital de Chrysler et a laissé le dossier en l’état comme il a laissé filer les parts de marché de Fiat en Europe et la production hors d’Italie. Aujourd’hui, pour aller au bout de sa démarche, il fait bruler à un groupe déjà très endetté plus de 4 milliards de $ pour boucler l’opération. Ceci semble indiquer que le volet industriel du dossier n’est pas sa priorité et qu’il préfère la fuite en avant à la construction d’un projet industriel.
Bernard Jullien
(*) Les deux journalistes écrivent : "In the U.S., Chrysler, though profitable, still suffers from the drought of research and development spending in recent years—a gap acutely visible in midsize sedans. Chrysler faces significant investments to keep pace with rising U.S. government fuel efficiency standards. Chrysler-Fiat ranked last among 11 auto makers in a U.S. government scorecard of average fuel efficiency published in October". http://online.wsj.com/news/articles/SB1000142405270230387070457929631228...
La chronique de Bernard Jullien est aussi sur www.autoactu.com.
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