La quinzaine GM : éloge de la nationalisation temporaire

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Autant que l’abandon de Chevrolet en Europe, la fin de la production de Holden en Australie, la nomination de Mary Barra à sa direction ou la décision de vendre les 7% des parts que GM détenait dans PSA, GM a marqué l’actualité de cette semaine en redevenant une entreprise pleinement privée : l’Etat américain a en effet mis en vente cette semaine les actions qu’il détenait encore. Ce faisant il a mit ainsi un terme symbolique non seulement à ces 4 années durant lesquelles GM a été nationalisé puis progressivement re-privatisé mais à une décennie de déshérence qui avait vu, bien avant la crise des subprimes, l’entreprise accumuler les pertes. Alors que Obama se félicitait d’avoir pu, en prenant la décision d’intervenir, sauver 1 million d’emplois, Dan Akerson, que le gouvernement avait été cherché hors de l’automobile pour faire le job qu’exigeait la restructuration déclarait : "Nous serons toujours reconnaissant de la seconde chance qui nous a été donnée et nous ferons à l’avenir tout notre possible pour en tirer le meilleur".

Pourtant, aux Etats-Unis, cette intervention massive de l’Etat pour donner une seconde chance au géant de l’automobile décidément trop gros pour disparaître ("too big to fail") fait encore débat. Dans la presse, certains insistent encore aujourd’hui sur l’argent perdu par le contribuable dans l’opération : l’Etat a en effet dépensé 49,5 milliards de $ pour sauver l’entreprise et n’en a récupéré que 39 en revendant les 60,8% des parts qu’il avait en 2009 après ses aides successives de 2008 et 2009. Beaucoup de journaux titrent alors sur la perte des 10 milliards envolés qui, soulignent-t-ils, viennent s’ajouter à celles que tous ceux qui avaient investi dans GM avant 2008 ont essuyé lorsque l’entreprise a été placée sous le Chapter 11.

Le gouvernement, épaulé par un rapport d’évaluation du Center for Automotive Research (CAR), propose une évaluation beaucoup plus générale de cette intervention de l’Etat dans le dossier GM. Sean McAlinden and Debra Maranger Menk, les deux chercheurs auteurs du rapport écrivent ainsi que le gouvernement américain, en décidant de se porter au secours de GM et Chrysler “a économisé ou évité la perte de 105,3 milliards de $ en paiements de transferts et/ou en cotisations ou impôts qui n’auraient pas été perçus sans cela"; ceci représente, soulignent-ils, 768% de l’investissement initial.

Il n’est bien évidemment pas fortuit que ce soit autour de ce cap politique franchi que GM ait fait de ces deux semaines celles de toutes les annonces décoiffantes. La nomination de Barra est sans doute la plus importante sur le plan symbolique : l’homme du redressement s’en va et c’est une femme issue de l’ancien GM et très active dans son redressement qui prend les reines. Les messages sont clairs.
- L’entreprise maltraitée par un management indigent, masculin et vieillissant avant la crise était capable des meilleures performances, aux Etats-Unis comme ailleurs ;
- Elle le montre dès à présent et prend désormais, sans laisser pourrir les situations, les décisions qui s’imposent lorsqu’elles s’imposent.
- Non seulement les volumes et la profitabilité sont là et le cours du titre montre que chacun le sait mais on n’entend pas s’en satisfaire et toutes les ombres au tableau doivent être dissipées promptement.
- Toutes les décisions passées devenues problématiques (Holden), indéfendables (Chevrolet en Europe) ou simplement vidées de sens par les évolutions intervenues de puis (les 7% dans PSA) doivent être corrigées sans attendre.

Au delà de la communication en forme de ‘GM is back’ et de l’excès d’assurance qu’y verront certains qui souligneront combien la vie est facile pour une entreprise qui a pu transférer sur la collectivité l’essentiel des coûts associés à ses erreurs passées, le succès de la nationalisation temporaire, dans un pays qui a coutume de donner à la planète des leçons de libéralisme, mérite qu’on s’y arrête pour souligner trois points.

Il correspond d’abord à un arbitrage, rendu de fait par la société, au profit de l’industrie, de ses salariés et des territoires qui l’accueillent : les autres ‘stakeholders’ parmi lesquels les investisseurs et dirigeants de la période d’avant mais aussi les retraités sont sans états d’âme sacrifiés.

Il correspond ensuite à une forme de reconnaissance des failles d’un capitalisme dans lequel rien ne garantit que le couple actionnaires-dirigeants fonctionne effectivement selon les règles de bonne gouvernance qui assignent aux premiers un rôle de contrôle strict des seconds. D’évidence, le GM d’avant 2008, ses rachats de titres systématiques et ses opérations de diversification financières aventureuses, dans le subprimes entre autres ont montré que le capitalisme contemporain n’offre aucune garantie à ce niveau et peut amener les Etats à endosser le rôle d’actionnaire de référence.

Enfin, et plus conformément aux mythes américains, la nationalisation temporaire est - comme le souligne la déclaration de Akerson – une mise en parenthèse des règles du capitalisme pour donner à une entreprise et à ses salariés une "seconde chance". Elle se justifie de manière générale par les pertes économiques et financières abyssales qu’il faudrait assumer si l’on laissait sombrer l’entreprise, ses fournisseurs et les territoires qui dépendent d’elle. Elle se justifie surtout – dans l’automobile en particulier - par le fait que les succès comme les échecs dans bien des industries sont contingents et réversibles : le cours des titres d’une entreprise et même ses comptes ne rendent compte que d’une petite part de cette réalité de long terme et de la valeur qu’elle confère à ses actifs.

Autant que le ‘revival’ de GM, il importe donc de voir dans cet épisode quelques raisons de croire en l’Etat, en la régulation et en ses capacités à être parfois un ultime recours indispensable. Il doit alors être aussi irréprochable que les dirigeants dont il prend la place ont été irresponsables et, de cela, on ne peut s’assurer qu’en le laissant prendre ses responsabilités.
Bernard Jullien

La chronique de Bernard Jullien est aussi sur www.autoactu.com.

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