Après le scandale du réchauffement climatique, le scandale des particules fines et celui des Oxydes d’azote : comment appauvrir le débat en prétendant l’ouvrir

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Le magazine de grands reportages de France 2 "Cash Investigation" est revenu cette semaine sur la question du diesel. Il a défendu la thèse d’un lobby constructeur omnipotent qui obtiendrait des pouvoirs publics ce qu’il veut en matière fiscale ou règlementaire et ce quelles que soient les conséquences sanitaires et environnementales. Selon cette interprétation, le différentiel de taxation de l’essence et du diesel et les tergiversations du gouvernement lorsque Bruxelles incite à le supprimer voire à l’inverser ne seraient que la énième figure imposée qu’accomplirait le docile pantin qu’est l’Etat français manipulé par des tireurs de ficelles qui ne peuvent être que les constructeurs. D’habitude, dans ces lectures "complotistes", les pétroliers sont aussi convoqués pour compléter le sinistre tableau. En l’espèce, France 2 ne les avait pas "castés" car ils expriment haut et fort sur ce dossier leur volonté de voir s’opérer un rééquilibrage qui rendrait la conduite de leurs activités de raffinage plus aisée.

La réalité est évidemment infiniment plus complexe et seul l’oubli de toute une série d’acteurs et de dimensions du problème de la taxation du diesel permettent de donner un peu de crédit à une thèse aussi grossière. On a là une illustration d’une figure rhétorique assez classique et systématiquement manipulé en matière écologique ou de sécurité routière : pour montrer qu’il y a bien un problème, on isole une variable, on oublie toutes les autres et on montre que ce qui n’est pas fait pour faire varier dans le bon sens la variable en question constitue un véritable scandale. Typiquement, étant données les émissions de particules fines qu’on leur doit, il est évident qu’il faut supprimer des routes les véhicules diesel et épargner ainsi 40 000 vies. Ne pas le faire est criminel. Le scandale est établi. CQFD.

Si l’on suivait l’émission, au delà de cet argument, il était question des FAP et le débat, trop difficile à trancher sans doute, autour de leur efficacité pour piéger les très fines particules n’était pas ouvert. Par contre, le fait que le recours à cette solution impliquait – en raison des techniques de catalyse utilisées pour régénérer les filtres – une augmentation importante des émissions d’oxydes d’azote (NO2 et NOx) constituait la "révélation" de la fin du reportage : même "fapés", les diesel restent catastrophiques sur le plan sanitaire. CQFD 2 : les constructeurs vous mentent, avec la complicité des pouvoirs publics et les saintes Autorités Européennes vont leur faire expier leurs péchés…

Alors que faire ? S’est sans doute demandé le téléspectateur moyen. Supprimer les voitures ? Passer au tout essence ? Passer à l’électrique ? Les journalistes se gardent de prendre le risque de livrer une solution et l’on peut les comprendre : leur travail est de soulever des problèmes, de donner des pistes de réflexion pas forcément d’identifier les solutions et d’en faire la promotion. Mais tout de même, l’évidence qui se dégage du cheminement que nous faisons avec eux, des particules fines vers les oxydes d’azote, est qu’il y a, dans une affaire comme celle là, des arbitrages à rendre : cela aurait pu être cela la découverte. Alors, le propos aurait été moins clair, l’horrible scandale moins bien établi mais les vraies questions auraient été posées.

Il est à cet égard frappant que dans la perspective très "environment friendly" adoptée par la rédaction de Cash Investigation, la question du réchauffement et du CO2 ait disparue de la carte des problèmes à traiter. Ce n’est pas certes un problème de "pollution" comme les particules ou les NOx, mais on avait cru comprendre ces dernières années qu’il s’agissait là d’un des problèmes clés que l’automobile posait en matière d’environnement. C’était une priorité partagée par les constructeurs et les autorités européennes et nationales et, étant données, les difficultés à implémenter les politiques dont c’était l’objectif, cela ne semblait pas renvoyer à une soumission de tous les instants des "policy makers" à l’omnipotent "lobby automobile". Pour Cash Investigation, dès lors que cela a pu être utilisé comme un argument par les très cyniques partisans du meurtrier diesel, il n’est plus pertinent d’en parler.

Dès lors que la réalité est complexe et que l’examiner en intégrant plusieurs dimensions conduit à exhiber l’obligation de rendre des arbitrages et de hiérarchiser des priorités, la rhétorique télévisuelle et la nécessité d’exhiber des "scandales" oblige ainsi à promener le public d’une dimension à l’autre. Alors, on peut exhiber que des choix simples ne sont pas faits pour de très obscures raisons qui cachent sans doute de très sales motivations. Tout va bien : l’enfer est pavé de mauvaises intentions. Les vaches du manichéisme sont bien gardées : la question est morale pas politique ; nul n’est besoin de réfléchir ou de débattre ; vous pouvez aller dormir.

Sur ce dossier, tout l’inverse est vrai. On a techniquement - comme l’ont découvert pour mieux l’ignorer les journalistes – des arbitrages à rendre "à tous les étages" : entre les variables "sanitaires" (particules vs NOx) ; entre les variables environnementales et celles de sécurité routière car les véhicules plus "sûrs" sont plus lourds, plus larges et plus longs ; entre la volonté d’améliorer toutes ces caractéristiques des véhicules et la volonté de faire en sorte qu’ils ne soient pas trop lourds et trop chers ; entre tous ces objectifs et celui de ne pas trop favoriser les importations de véhicules des pays à bas coût et/ou le développement de marques non nationales ou non européennes… Ceci signifie que, à la place de l’horrible lobby des méchants constructeurs, on peut mettre des écolos inquiets du réchauffement climatique, des associations de victimes d’accidents de la route, des ouvriers ou des sous-traitants de l’automobile, des élus locaux, des ménages qui "tirent le diable par la queue" et ne pourraient pas changer de voitures … Bref, l’enfer décrit n’est pas – ou pas seulement - pavé des mauvaises intentions des méchants diéselôlatres. Il l’est surtout des bonnes intentions des politiques publiques et des bonnes - voire des louables - raisons qu’ont d’autres "stakeholders" de les amener à "oublier" les particules fines ou les NOx.

Que l’on ait besoin de prendre conscience des problèmes réels que l’on a ainsi "oublié" est incontestable et loin de moi l’idée de défendre l’ignorance ou de prétendre qu’il s’agit là de faux problèmes. Qu’il faille par contre se vautrer dans une présentation de la réalité en forme de fable morale pour parvenir à cette prise de conscience et que la "révélation" d’un "scandale" puisse faire progresser la démocratie, là, j’ai davantage de doutes : à fabriquer des groupes de pression et/ou des argumentaires spécialisés chacun dans le traitement de l’une des variables, on s’interdit de penser les - et de débattre des – arbitrages à rendre. Alors, ceux-ci sont rendus au fil de l’eau, au gré des victoires et des défaites des uns contre les autres : parce que l’on n’a pas osé taxer le diesel pour des raisons sociales et électorales, on calme les écologistes en leur donnant un gros malus dont on verra demain à qui il nuit vraiment ; parce que le nouveau dada à Bruxelles ce sont les NOx et que des amendes menacent, on va relâcher la pression sur le CO2…

A force de ne pas croiser ces dimensions, parce qu’effectivement, c’est compliqué, les arbitrages ne sont pas pensés, justifiés et légitimés mais sont rendus de fait et constatés ex post. Il n’y a pas de politique de l’automobile et il n’y en a tellement pas que prétendre que ce qui est fait l’est en fonction de ce que les constructeurs souhaitent ou dictent ne tient pas la route. Ce dont tout le monde a besoin y compris les constructeurs pour savoir où on souhaite qu’ils placent leurs priorités c’est précisément de politiques stabilisées parce que ancrées dans de vrais débats.
Bernard Jullien

La chronique de Bernard Jullien est aussi sur www.autoactu.com.

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