Est-ce Chrysler qui sauve Fiat ou l’inverse ?
La chronique hébdomadaire de Bernard Jullien directeur du Gerpisa.
Chrysler a annoncé en fin de semaine dernière des investissement lourds aux Etats-Unis : d’un montant de 1,7 milliard de dollars, le plan concerne en particulier la production de la nouvelle Jeep Liberty à Toledo. Celle-ci sera lancée en 2012. Elle sera conçue sur la base de plateforme C qu’utilise l’Alfa Giulieta. Celle-ci qui a fait l’objet d’une déclinaison américaine (la CUSW our C US Wide) et doit ainsi permettre, sur ce modèle comme sur d’autres, de moderniser les gammes des marques de Chrysler. Chrysler est en particulier le champion américain de l’inefficience énergétique et compte sur Fiat pour lui permettre d’emboîter le pas à GM et Ford qui peuvent compter sur les apports de leurs divisions européennes pour reprendre pied sur le marché des cars et verdir leurs offres de SUV.
Cette annonce d’investissement qui a été associée à un programme de 1100 recrutements s’inscrit dans le prolongement de l’accord avec UAW qui a été ratifié en octobre et qui mélange comme ceux signés chez Ford et GM un "signing bonus", la fixation d’un salaire horaire d’embauche revalorisé de 19,28$ (comme chez Ford et GM) et des promesses de bonus liées aux performances individuelles et collectives et un engagement d’investissement aux Etats-Unis pour développer de nouveaux modèles et renouveler les anciens. Chez Chrysler, cet engagement porte sur un montant de 4,5 milliards de $ et l’annonce faite cette semaine consomme donc un peu plus d’un tiers de l’enveloppe promise sur la période 2011-2015.
Le rêve américain de Marchionne semble ainsi prendre progressivement corps et certains cabinets en font déjà un modèle. On se rappelle en effet que, fin octobre, les résultats du troisième trimestre avaient fait apparaître d’importants profits chez Chrysler qui venaient compenser les pertes de Fiat : Chrysler dégageaient en effet 212 millions de dollars de profit pour un chiffre d’affaire en croissance de 19% à 13,1 milliards de dollars et des ventes en hausse de 24%. Comme GM et Ford, avec un marché américain de 12,5 millions de véhicules particuliers – très loin de celui de 2005 qui avait culminé à plus de 17 millions -, Chrysler peut donc à son tour retrouver le chemin de la profitabilité et inverser la courbe en passant du désinvestissement à l’investissement : l’ampleur des restructurations que la profondeur de la crise de 2008-2009 a entrainé a cette conséquence "heureuse" et séduit volontiers les analystes qui, comme Marchionne, s’empressent de pourfendre la "frilosité" européenne .
De même que Marchionne fait preuve d’une assez grande duplicité lorsqu’il prétend qu’il perd de l’argent avec Fiat en Italie et en gagne en Pologne ou au Brésil, faire aujourd’hui des Etats-Unis et de GM et Chrysler des modèles est pour le moins rapide. C’est d’abord oublier un peu rapidement que le cumul des créances non honorées et des aides d’Etat ont correspondu pour l’industrie automobile américaine à des facilités auxquelles les autres acteurs de l’industrie mondiales n’ont pas eu accès. C’est oublier aussi que le marché américain est, comparé au marché européen, relativement "facile" au sens où l’intensité concurrentielle y est plutôt moindre et au sens où les exigences règlementaires, de consommation et de qualités intrinsèques des véhicules (en termes de motorisations, de liaisons au sol…) sont plutôt en retrait et font du marché nord américain un marché assez intraitable sur la qualité de fabrication mais assez tolérant aux ingénieries produits plus incertaines. C’est oublier surtout que ce n’est pas Chrysler qui sauve Fiat et lui apporte des solutions technologiques et managériales mais l’inverse.
Fiat et Chrysler sous la direction de Marchionne sont une décennie après un peu dans la même position que Renault et Nissan sous celle de Ghosn : le manager, porté par les capitaux et les savoirs faire de l’européen au secours du japonais ou de l’américain, réussit si bien avec la nouvelle entité qu’il en fait le modèle ou le benchmark pour les historiques qui se voient reprocher de n’être pas aussi performants et profitables que ne le devient le moribond d’hier. L’excellence change de camp dans le discours et le fait de n’avoir pas les coudées aussi franches pour régler le sort de Renault ou Fiat que pour redresser Nissan ou Chrysler n’est à aucun moment mis en relation par le manager avec ces compétences accumulées dans la difficulté européenne et mise au service de l’allié ou de l’acquis. C’est à la fois injuste pour les équipes qui gardent la maison à Paris ou à Turin et illusoire dans la lecture – ou la réécriture – de l’histoire automobile que cela véhicule.
La nécessité de préserver les compétences et les trésors d’inventivité dont il faut faire preuve pour faire face à des contextes marqués par de multiples contraintes qui s’accumulent les années passant font l’histoire de l’automobile. Les groupes ou les divisions des groupes qui, de fait, sont le cœur du système ne font pas du passé table rase ont toutes les chances d’être financièrement moins séduisants et moins "manoeuvrables" sur le plan managérial. Pour les consultants, les manuels de management ou les managers charismatiques, ils sont également moins sexys. Est-ce pour autant qu’il convient de se dépêcher de faire comme si le cœur pouvait ressembler aux bras autrefois malades redevenus vigoureux ?
La chronique de Bernard Jullien est aussi sur www.autoactu.com.
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