Derrière les résultats financiers : l’enjeu de la politique de distribution aux actionnaires

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Alors que nous sont communiqués en cette fin octobre les résultats financiers du troisième trimestre 2019 des groupes automobiles, se profile une année 2019 plutôt difficile pour la plupart des constructeurs et tout laisse à penser que les choses ne s’amélioreront pas en 2020 : une large majorité de marchés est orientée à la baisse et il est impérieux de continuer d’investir.
 
Investir pour un constructeur, c’est à la fois nourrir le "business as usual" en renouvelant régulièrement ses gammes et/ou en modernisant son outil de production. C’est aussi bien évidemment se lancer ou se développer sur de nouveaux terrains en s’implantant dans des pays où il n’était pas ou pas suffisamment, en créant de nouvelles marques ou en développant des compétences en R&D qui n’étaient pas les siennes jusqu’alors.
Dans tous ces cas, il y a nécessité de dépenser présentement et, la plupart du temps, plusieurs années de suite en escomptant des recettes futures qui peuvent ou non devenir réalités.
Dans le cas du développement d’une marque – PSA en sait quelque chose – il faut, pour l’installer, perdre beaucoup d’argent plusieurs années durant, pour espérer en gagner. Dans le cas des "nouveaux pays de l’automobile", les cas russes, indiens, argentins, brésiliens, turcs, algériens et désormais chinois montrent de même que, même lorsque l’on y a réussi un temps, il faut faire preuve de beaucoup de constance pour s’y maintenir et pouvoir profiter des conjonctures hautes qui alternent volontiers avec celles plus (voire beaucoup plus) difficiles.
En cela, faire le gros dos plutôt que déserter peut-être considéré comme un investissement même si, sur un plan purement comptable, ceci ne se traduira pas en dépenses mais en baisse du résultat ou de la marge.
 
Si l’on reconnaît à la fois la difficulté à dégager d’aussi bons résultats que les années précédentes et l’impérieuse nécessité d’investir pour le "business as usual" et pour se développer alors se pose avec acuité fin 2019 la question de la politique financière des constructeurs et, particulièrement, de leur politique de distribution.
D’un point de vue industriel ou commercial, la logique voudrait - et l’intérêt des parties prenantes, usines ou concessions, serait – que ce soit les actionnaires qui soient les premiers à pâtir des difficultés.
C’est en effet, en théorie, le risque qu’ils prennent en achetant un titre et c’est pour cela que, lorsque les résultats sont là, ils sont rémunérés. Inversement, lorsque l’entreprise doit faire face à une conjoncture difficile, ils reçoivent des dividendes moindres ou nuls et doivent éventuellement faire face à une baisse des cours.
Dans certaines configurations actionnariales, c’est ainsi que les choses se passent car l’entreprise et ses managers bénéficient d’un "capital patient".
Dans d’autres cas, parce que le capital est beaucoup plus disséminé et que des actionnaires très "actifs" font pression, l’actionnariat ne l’entend pas du tout de cette oreille et va exiger à la fois des "plans d’économie" drastiques qui vont immanquablement porter sur l’investissement et une distribution sous forme de dividendes et/ou de rachats de titres pour compenser en quelque sorte l’effet négatif qu’aura eu l’annonce de résultats en retrait sur le cours de l’action.
 
Lorsqu’on compile les données – publiques pour les entreprises cotées -, il est manifeste que, en une décennie, la seconde configuration tend à dominer la première : ce qui n’était vrai qu’aux Etats-Unis entre 1996 et 2007, avec les effets que l’on sait, s’est étendu après la crise à l’ensemble de l’industrie, à quelques notoires exceptions près dont VW est la plus marquante.
Les constructeurs distribuent aux actionnaires une part plus importante de leur résultat net.
Si celui-ci est important, ceci n’obère guère leurs capacités d’investissement. Si celui-ci l’est moins, l’investissement en pâtit.
Plus importante encore, en 2019-2020, l’attitude des constructeurs face à leur actionnariat lorsque les résultats sont à la baisse consiste, de plus en plus, à préserver leur politique de distribution.
 
Pour donner un exemple emblématique, Hyundai-Kia, qui avait jusqu’alors une politique de distribution très sage puisque l’entreprise versait en dividendes et rachats de titres entre 2010 et 2014 entre 6 et 14% de son revenu net, s’est mise, en 2015, à verser des dividendes plus de deux fois plus importants en même temps que chaque année (sauf en 2017) étaient mis en œuvre d’importants programmes de rachats de titres.
Le taux de distribution était ainsi passé entre 2014 et 2016 de 9% à 25%. A partir de 2017, malgré un chiffre d’affaire qui continuait de croître le résultat s’est beaucoup dégradé, à cause de la Chine principalement et, comme la politique de distribution a été maintenue, c’est 105% du revenu net qui a été versé aux actionnaires en 2018. Rapporté aux "dépenses en capital", la distribution aux actionnaires représentait 6,9% en 2009, elle représente 49% en 2018.
Ford, qui a connu la même trajectoire en termes de revenu net depuis 2017, a eu la même réaction – ou plutôt la même "non réaction" - et va arriver cette année à un taux de distribution de son revenu net de 104%.
 
C’est évidemment ce type de comportement que, en fin d’exercice, il est essentiel que les constructeurs puissent éviter alors que les pressions actionnariales – voire les attaques des Hedge Funds – vont être fortes. De ce point de vue, les deux français n’ont ni la même histoire, ni les mêmes contraintes en 2019.
 
Entre 1998 et 2008, PSA avait été amené, en lien avec la stratégie patrimoniale de la famille Peugeot à conduire une politique de distribution très généreuse. Les Peugeot utilisaient en effet les dividendes versés par le groupe pour investir ailleurs.
Comme, dans le même temps, ils souhaitaient retrouver la part dans le capital qu’ils avaient avant que J. Calvet ne procède, pour redresser l’entreprise, aux fortes augmentations de capital de 1985 et 1987, ils faisaient procéder à d’importants rachats d’actions qui, une fois annulées, faisaient mécaniquement remonter leur part sans qu’ils aient besoin de rien débourser.
En 2008, alors que le résultat est négatif, le montant des dividendes versés reste le même et un (petit) programme de rachats de titres est même exécuté.
Les vicissitudes du groupe font en sorte que rien n’est distribué aux actionnaires jusqu’en 2017. Depuis 2017, le taux de distribution oscille entre 18 et 29% alors que dépenses en capital et en R&D restent en deçà des standards du secteur (aux alentours de 3,5% contre 5,1% et 4,8% chez Renault en 2018 par exemple).
Il est donc à souhaiter que l’amélioration des résultats serve d’abord à renforcer ces dépenses : un taux de distribution en baisse serait un bon signe de ce point de vue.
 

Chez Renault, c’est un peu l’inverse. La décennie 1998-2008 est marquée par une distribution assez limitée (en dessous de 20% en moyenne) qui progresse assez rapidement avant la crise.
Après la crise, les années Ghosn vont marquer une assez vive progression : le résultat net progresse et passe entre 2012 et 2017 et 4,5% du CA à 9%, les sommes versées en dividendes doublent et des rachats de titres consomment de 1 à 4,4% du résultat.
Le taux de distribution 2018 s’établit ainsi à 32,3%. Il serait en 2019 de 44% si la baisse du résultat net ne donnait pas lieu à un ajustement des dividendes versés. 
Les actionnaires et, le premier d’entre eux, l’Etat, serait bien inspiré en cette fin 2019 de donner des signes de sa "patience" : il a réclamé des droits de vote double en 2015 en faisant valoir que sa présence permanente au capital en fait un actionnaire différent des autres qui a à cœur le développement de l’entreprise et sa capacité à faire face, sur le long terme, aux défis qui l’attendent.
Renault, malgré des résultats en baisse a besoin de continuer d’investir et de capitaliser sur sa présence hors d’Europe malgré les difficultés rencontrées sur un certain nombre de marchés. Clotilde Debos a indiqué lors du "profit warning" qui a tant ému les analystes craignant pour le dividende qu’il y aurait des choix à faire ce que l’on peut concevoir.
Il sera opportun lorsque ceux-ci se préciseront de vérifier qu’ils le sont pour l’entreprise et non pour préserver, contre vents et marées, comme c’est trop souvent la tendance dans cette industrie désormais, la politique de distribution.

La chronique de Bernard Jullien est aussi sur www.autoactu.com.

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