Urgence climatique, urgence industrielle, urgence sociale : un tiercé à remettre dans l’ordre (15/09/2019)

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L’urgence dans laquelle l’industrie automobile se trouve fin 2019 donne lieu, à Francfort et ailleurs, à un jeu d’influence complexe où chacun adosse ses propos à une cause a priori légitime pour contrer une autre partie prenante qui en invoque une autre.
L’UE a, il y a un an, fondé ses injonctions sur l’urgence climatique. Les constructeurs comme les états sont sensibles à l’urgence financière et souhaiteraient que les ventes de SUV puissent continuer de générer le cash qui permet de combler les pertes sur les VE pour les uns et de financer les primes à l’achat des dits véhicules pour les autres. 

Les syndicats, les PME et les territoires automobiles voient les établissements fragilisés et les emplois disparaître dans l’automobile et craignent que ceux qui seront créés par l’électrification ne les concernent guère.
Au cœur de ces débats, dans l’UE, en Allemagne et en France, le chiffrage des dégâts sur l’emploi devient un enjeu clé pour de très bonnes raisons.

Les divergences constatées à ce niveau ne sont pas seulement affaire de rigueur des méthodes ou de solidité des hypothèses. Elles révèlent surtout de très fortes différences de ce que doit être le champ pertinent d’appréciation des conséquences de l’électrification à marche forcée qu’il va falloir gérer.

Pour saisir ces différences, on peut comparer l’étude proposée fin 2018 par l’AIE ("the European Association of Electrical Contractors") à celle, antérieure, du Fraunhofer research institute réalisée à la demande d’IG Metall  sur l’impact de l’électrification sur l’emploi en Allemagne rendue publique en juin de la même année.

La première répondait à la seconde.
Le Fraunhofer research institute chiffrait les pertes d’emploi dans l’automobile allemande entre 2017 et 2030 à 75 000 dont 27% étaient imputables à l’électrification, les autres résultant de l’augmentation de la productivité.  

L’AIE ne raisonnait plus sur l’Allemagne mais sur l’UE et ne raisonnait plus sur l’industrie automobile mais sur l’ensemble de la chaine de valeur électrique.

Elle parvenait ainsi à la conclusion que les pertes de l’emploi dans l’automobile spécifiquement dues à l’électrification (86 000) seraient bien plus que compensées par 200 000 emplois créés d’ici à 2030 pour permettre aux VE de rouler. Parmi ces 200 000 emplois, 57% correspondraient au périmètre de l’association c’est à dire à l’installation, l’opération et la maintenance des points de charge.

Greg Archer, directeur des mobilités propres de T&E, commentait alors l’étude en ces termes :

"Les politiciens devraient bien intégrer cette étude, pas seulement pour ce qu’elle dit des bénéfices liés aux VE, mais également pour ne pas accorder une confiance excessive aux industries traditionnelles lorsque leurs représentants prétendent qu’on ne peut pas traiter les questions environnementales sans mettre de nombreuses personnes au chômage. C’est la plupart du temps une excuse pour ne rien faire. (…)."

Rappelant ses appels récurrents à l’UE pour créer les conditions qui permettraient que l’Europe profite de la révolution du VE et d’éviter qu’elle bénéficie principalement à d’autres régions du monde, T&E se félicitait alors de l’annonce de LG liée à la demande croissante de batteries de VW : le chimiste coréen allait tripler ses capacités de production de batterie en Pologne ! CQFD : l’Europe profite bien de la révolution du VE.
Très clairement, comme aurait dit autrefois Georges Marchais, le bilan "globalement positif" ne parvient à être trouvé qu’en changeant de périmètre.

Le problème est que les questions industrielles comme les questions sociales ne peuvent être posées et réglées sur l’ensemble de la chaîne de valeur et sur l’ensemble de l’UE. Elles se posent territoire par territoire, entreprise par entreprise voire établissement par établissement et métier par métier.

Pour un salarié français ou allemand d’une PME sous-traitante, savoir que des emplois sont créés dans un autre secteur à des centaines de kilomètres n’a aucune pertinence et c’est l’étude du Fraunhofer et non celle de l’AIE qui est pertinente. Même s’il y a une évidente instrumentalisation de la question de l’emploi par les grands patrons de l’automobile, la question est pertinente et – comme la question des points de recharge évoquée la semaine passée – elle mérite d’être posée très rapidement : maintenant que l’urgence climatique a été reconnue et que cela a donné lieu aux décisions que l’on sait, les urgences doivent devenir sociale et industrielle.
En France en particulier, contrairement à ce qui s’est passé en Allemagne, le déclin de l’emploi dans l’automobile que nous avons connu depuis 15 ans a été d’une ampleur bien plus importante que celle qui sera liée dans les prochaines années à l’électrification. Il a principalement été lié aux délocalisations de l’assemblage des véhicules des segments A puis B.

Si le new deal français autour de l’électrique pouvait se faire en permettant que l’essentiel des fabrications concernées des deux grands constructeurs soit, comme c’est le cas pour l’instant, assuré en France avec des cellules, des batteries (ou des PAC) et des turbines conçues et réalisées dans l’hexagone, alors il serait plus acceptable.

Si rien n’est fait pour cela, on risque de voir les deux constructeurs considérer que les très faibles marges réalisées sur les VE imposent, comme pour une Clio, une C3 ou une 208, un assemblage marocain, turc ou est-européen : alors qu’il pourrait freiner ou inverser le trend sur lequel nous sommes depuis des années, le mouvement d’électrification le renforcerait et la casse sociale serait maximale.
Lors de la polémique qui l’avait opposée à Carlos Tavares en mars, Karima Delli terminait l’interview qu’elle avait donnée à La Tribune en affirmant :  

"Est-ce qu'on veut une industrie européenne moins compétitive ? C'est le message que je vais porter pour la prochaine mandature européenne. Nous organiserons un sommet de la reconversion de l'industrie automobile européenne."

Nous y sommes, il faut très vite accrocher des bœufs industriels à la charrue de l’urgence climatique qui a été lancée. 

La chronique de Bernard Jullien est aussi sur www.autoactu.com.

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