Après l’affaire VW : passer du "on nous cache tout, on nous dit rien" aux choix démocratiques éclairés

Diesel vs Essence: évolution du parc français

 

Parce que les écologistes ont toutes les peines à trouver un écho dans le public, que les causes qu’ils défendent n’émeuvent jamais autant qu’ils le souhaiteraient et parce que les médias n’aiment rien tant que les scandales, nous venons de passer une semaine à entendre les uns et les autres nous suggérer que – comme disait autrefois la marionnette d’Arlette Laguiller dans feux Les Guignols – "on vous ment, on vous spolie" ou que – comme le chantait Dutronc – "on nous cache tout, on nous dit rien".

En l’occurrence, le débat n’est pas des plus simples mais le moins que l’on puisse dire à lire les médias est que l’on n’a guère aidé le public à y voir clair. Le couple écologistes-médias est allé chercher dans une littérature grise des calculs qui nous exhibent des milliers de morts liés au diesel pour indiquer combien nos constructeurs sont irresponsables voire criminels et comment nos gouvernants, incompétents et vendus au "lobby automobile", sont pires encore. Les Etat-Unis sont alors apparus comme des champions de l’écologie et de la fermeté face aux industriels. Bref, on a nagé toute la semaine en pleine confusion poujadisto-écologiste.

Cela ne lasse pas d’inquiéter car – comme l’a montré Florence Lagarde dès mardi en se préoccupant des différences de standard entre l’Europe et les Etats-Unis sur le NOx – il suffisait de passer quelques heures à rechercher ce dont il était vraiment question pour sortir du grand n’importe quoi. Ainsi, en lisant un très clair article de Science et Avenir paru il y a deux ans, on saisit que, techniquement comme politiquement, il existait une sorte d’arbitrage à rendre entre les émissions de CO2 et les émissions de NOx, entre la réduction des gaz à effets de serre et les émissions de polluants locaux. En effet, plus l’on accroît, avec l’injection directe par exemple, la qualité de la combustion et plus, toutes choses égales par ailleurs, on tend à émettre des oxydes d’azote. Assez clairement, l’UE a longtemps donné la priorité à la lutte contre le réchauffement climatique et a, ce faisant, conféré une "prime" au diesel de ce fait. Les Etats Unis ont jusqu’à récemment été beaucoup moins exigeants en matière de CO2 mais ont développé des standards rigoureux en matière ne NOx car ils n’avaient pas de diesel et que les émissions de NOx des moteurs essence sont 10 fois moindres.

Une forme de convergence se dessine désormais puisque la norme Euro 6 d’ores et déjà et l’implémentation des nouvelles procédures de test dans un avenir proche vont rendre incontournable le recours aux systèmes de dépollution qui, sans renoncer aux avantages du diesel en matière de CO2, limiteront drastiquement les émissions de NOx. Ces questions sont bien connues des spécialistes, bien documentées, discutées à longueur d’années par les régulateurs et les constructeurs, équipementiers et pétroliers en toute transparence et, pour tout celui qui prend la peine de passer deux heures sur le net ou d’appeler quelques spécialistes, le mythe du complot contre notre santé pour s’enferrer dans une erreur collective majeure ne tient pas la route. La facilité en ces matières est de prendre une question, de l’isoler de l’ensemble de celles qui se posent dans le même mouvement dans la vraie vie et de parvenir ainsi à des conclusions simples qui "démontrent" combien les décisions prises étaient aberrantes.

En matière automobile et de motorisation comme en bien d’autres, on ne peut pas tout avoir en même temps. On finira sans doute par avoir des diesels à 85g qui seront en dessous de la norme Euro 6, y compris dans le cadre des procédures WLTC (1) mais les ajustements ne sont pas instantanés. Aujourd’hui, d’évidence, on n’y est pas tout à fait et il faut travailler, investir et finalement digérer cela sans faire exploser les Prix de Revient de Fabrication. La question est d’autant plus problématique que d’autres monothématiques axés par exemple sur la sécurité routière exigent dans le même temps que les véhicules soient tous capables de détecter la pression des pneus ou de générer des appels d’urgence. Puisque, comme chacun le sait, c’est le parc qui émet et non les quelques véhicules qui sont achetés neufs chaque année, la question de savoir à quelle vitesse il va se renouveler devrait être - du point de vue écologique qui nous souligne à l’envi "l’urgence" de voir ces question réglées - cruciale. Dès lors que le prendre en compte oblige à quitter le terrain clair et simple sur lequel leurs stratégies de communication les mènent pour introduire un tout petit peu de complexité, ils préfèreront faire l’impasse.

Se pencher sérieusement sur la question des oxydes d’azote plutôt que de se vautrer dans la joie simple de la dénonciation conduit à comprendre qu’il n’y a en la matière que des compromis entre des exigences contradictoires qui n’intéressent pas également toutes les parties prenantes. Après tout les NOx sont bien plus problématique à Paris ou à Lyon qu’à Guéret, à Lannion ou à Mende et, sauf à laisser accroire que tous les objectifs peuvent être poursuivis et atteints économiquement et techniquement simultanément, il faut choisir pour qui on choisit d’être exigent écologiquement. Accessoirement, il y a des salariés et des territoires solidaires des choix passés, des ménages qui n’accèderont aux véhicules à la normes Euro 6 que en 2025 ou 2030, des garagistes qui doivent apprendre à se coltiner les problèmes que l’on ne manquera pas de rencontrer sur les SCR ou les pièges à NOx (2), … Bref, si on souhaite - et c’est légitime - exercer face aux industriels un contre-pouvoir et "faire de la politique autrement", alors il faut ouvrir l’espace démocratique, celui des choix, en se confrontant à la complexité pour exhiber les arbitrages qu’il y a à rendre et non se contenter des facilités d’une dénonciation simpliste.

Bernard Jullien

  
(1) Une note de 2014 de l’ADEME indique combien les choses sont claires pour tous : "À partir de 2017, la norme Euro 6c présentera les mêmes seuils d’émissions de NOx qu’Euro 6b mais vraisemblablement sur un nouveau cycle de roulage plus représentatif des usages réels (WLTC), couplé à des mesures embarquées sur véhicule (RDE : Real Drive Emission)."  
(2)  La note de l’ADEME indique :
Pour les véhicules légers, deux systèmes sont étudiés par les constructeurs et commencent à apparaître sur les véhicules :
 La SCR (Selective Catalytic Reduction) où la réduction des NOx est assurée par une réaction avec de l’ammoniac embarqué sous forme d’urée ;
 Le piège à NOx qui combine un système de captage des NOx et un catalyseur trois voies traitant le CO, les HC et les NOx (les NOx et le CO formant du N2 et du CO2)."

La chronique de Bernard Jullien est aussi sur www.autoactu.com.

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