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Renault : l’Etat dans son rôle
Submitted by Bernard Jullien, Université de Bordeaux on Mon, 04/13/2015 - 06:00
La chronique hebdomadaire de Bernard Jullien directeur du Gerpisa et conseiller scientifique de la Chaire de Management des Réseaux du Groupe Essca.
Le coup qu’a joué l’Agence des Participations d’Etat cette semaine a surpris. Il a sans doute surpris Carlos Ghosn et le management de Renault. Il a également surpris les commentateurs qui, pour la plupart d’entre eux, n’ont toutefois pas trouvé grand chose à redire à une manœuvre on ne peut plus logique dès lors que la loi du 29 mars 2014 avait été approuvée au Parlement. Seuls quelques ultra-libéraux nourris aux seins du "Share Holder Value Management" et de la "bonne gouvernance" ont tenté de nous convaincre que "l'Etat a commis une faute" (1), un crime de lèse capitalisme financier.
Il faut évidemment d’abord resituer cette détermination à voir la Loi Florange instituant des droits de vote double pour le "capital patient" s’appliquer dans le calendrier politique. Elle se manifeste avec éclat juste après une défaite assez cuisante aux élections départementales. Elle prend place au beau milieu du processus de négociation du ralliement de Martine Aubry et de ses amis à la motion Cambadélis-Hollande-Valls. Elle a été déclenché par un Ministre qui a grand besoin de donner quelques gages à ceux qui avaient cru François Hollande lorsqu’en 2012 il avait cru bon de dire que son ennemi était la Finance. Elle correspond à une phase du quinquennat où, pour se donner quelques chances de séduire sur leur gauche, les responsables de l’exécutif vont devoir, sans trop fâcher le Medef et paraître souffler le chaud et le froid, montrer, selon les termes d'Emmanuel Macron, "la volonté et la capacité de l'État à utiliser toutes les armes aujourd'hui à disposition des investisseurs pour promouvoir un capitalisme de progrès, de long terme, au service des salariés et du développement des entreprises" (2).
Au sein du Medef ou de l’opposition, ni la Loi du 29 mars 2014 ni la détermination de l’Etat à faire en sorte qu’elle s’applique ne font l’unanimité contre elles. La nécessité, pour les entreprises industrielles en particulier, de soustraire leurs stratégies et management de long terme aux desiderata des marchés et aux avis très conformistes des "communautés d’analystes" n’est pas une théorie léniniste : c’est une conviction que partagent beaucoup de dirigeants de PME, de start-ups et de grands groupes. Dans l’automobile, on se rappelle que lorsque l’on avait vu avant la crise de 2008 le camp Porsche tenter de faire la peau à la loi Volkswagen sous couvert d’application des principes de "bonne gouvernance" pour prendre le contrôle du groupe, de très nombreuses voix s’étaient élevées. On ne peut que penser a posteriori qu’elles avaient eu raison. De manière plus générale, force est de constater que, parmi les géants de l’automobile, on a bien plus tendance à se soustraire aux canons du capitalisme financier qu’à s’y soumettre.
Pour Renault, cet épisode intervient dans un contexte marqué par l’assez nette embellie que vit la marque en Europe, l’accord de compétitivité signé en mars 2013 et célébré de manière récurrente par Bercy depuis et l’engagement pris sur les volumes produits en France à l’horizon 2016 qui devraient atteindre 710 000 véhicules. Ces éléments avaient conduit, du temps où Arnaud Montebourg était ministre comme depuis qu’il a laissé le dossier aux équipes de Emmanuel Macron, à une relation entre Carlos Ghosn et l’Etat qui semblait excellente. L’intégration croissante des activités de Renault et de celles de Nissan comme l’Alliance avec Daimler ne constituaient pas d’ombres aux tableaux dès lors que, à Flins (Micra) comme à Maubeuge (Citan) ou à Cléon (Moteur Diesel livré à Mercedes), on ne pouvait que s’en féliciter.
Carlos Ghosn a-t-il voulu pousser son avantage et cru qu’il pouvait sur ces bases compter sur la passivité de l’APE à l’Assemblée Générale pour y obtenir le vote expresse du refus de voir s’appliquer la loi Florange qu’exige le texte du 29 mars 2014 pour que les actionnaires patients ne bénéficient pas du doublement de leurs droits de vote ? A-t-il pensé que, comme pour sa rémunération votée en CA, les représentants de l’Etat voteraient contre pour faire bonne figure tout en sachant que la proposition serait retenue ? Entendait-il conserver les moyens d’imposer en 2015 ou 2016 l’activation des droits de vote de Nissan qu’il avait – comme le rappelait vendredi Bertrand Rakoto - tenté en vain d’obtenir en 2010 ? Avait-il en tête à terme un passage de l’Alliance à un Groupe Renault Nissan dont la gouvernance serait plus japonaise que française ? Tous les ghosnologues de la planète vont se poser la question et le doter d’un machiavélisme très probablement surévalué.
Ce qui est certain est que Carlos Ghosn a l’habitude dans ses relations avec les Etats japonais, russes, marocains ou algériens de prendre la main et de tout faire pour la garder. Avec l’Etat français, malgré les rodomontades d’un Estrosi, il en avait jusqu’ici été de même et, avant lui, Louis Schweitzer s’était félicité de la très grande latitude dont il avait bénéficié. Cette fois l’APE est entrainée dans un jeu plus conflictuel dont elle n’est pas coutumière : la loi et la conjoncture politique lui donnent le devoir de s’opposer frontalement aux desiderata du dirigeant. Sera-ce seulement symbolique et l’APE s’empressera-t-elle de s’excuser d’avoir agi ainsi pour satisfaire le politique ? Est-ce au contraire le signe d’une volonté (ou d’une opportunité) d’être beaucoup plus actif et vigilant sinon dans l’élaboration de la stratégie du moins dans la détermination des évolutions de la gouvernance de l’Alliance et dans la préparation d’un "après-Ghosn" qui, un jour ou l’autre, se dessinera ? Tout laisse accroire que l’Etat comme son bras armé en ces domaines qu’est l’APE sont comme surpris par les conséquences qu’ont les dispositions du texte voté il y a un an et que, comme Carlos Ghosn, ils vont devoir se fabriquer, en marchant, une doctrine qui fait encore défaut aujourd’hui.
(1) L’expression est de D. Barroux des Echos dont il faut lire l’éditorial http://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/0204286935065-renaul...
(2) http://www.lefigaro.fr/societes/2015/04/08/20005-20150408ARTFIG00070-l-e...
(3) http://www.lefigaro.fr/societes/2015/03/24/20005-20150324ARTFIG00094-la-...
La chronique de Bernard Jullien est aussi sur www.autoactu.com.
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