Le choix de Trémery peut-il être signe d’un changement de séquence ?

Car guy, Minefi, PR. Trémery, 27 mars 2015

Entre les deux tours des départementales, François Hollande a fait le déplacement en Moselle pour venir saluer la décision prise par PSA d’affecter la production des 3 cylindres turbo essence à l’usine de Trémery. Dans les mois qui avaient précédé, le management de PSA avait présenté ce choix de site comme étant une des possibilités envisagées. L’alternative explicitement évoquée était la création de toutes pièces d’une unité de production de moteurs à Vigo, site chéri par le management de PSA ces dernières années qui en a fait le premier site européen d’assemblage du groupe (1). L’hypothèse Trnava avait également été évoquée (2).

Même si, comme le souligne la CGT, une bonne dose de bluff a sans doute été instillée par la Direction de PSA dans cette affaire, le choix de Trémery pourrait signifier pour l’industrie française la fin d’une séquence qui a vu, depuis plusieurs années, la mise en concurrence des sites français et espagnols tourner assez systématiquement à l’avantage des seconds. On se rappelle par exemple que, lors de la fermeture d’Aulnay, en 2012, le rapport remis à Arnaud Montebourg par Emmanuel Sartorius s’étonnait que Aulnay soit sacrifié alors que Madrid (Villaverde), site enclavé et peu "chargé", était préservé en bénéficiant de l’affectation du C4 Cactus (3). On sait aussi que, côté Renault, les deux SUV finalement lancés sur les plateformes B et C sont tous deux assemblés en Espagne et non en France : le Captur a permis à Valladolid de retrouver une part de sa vigueur passée et le Kadjar, qui viendra immanquablement rogner une part des ventes actuellement assurées par le Scenic assemblé à Douai, va relancer l’activité de Palencia.

Il faut donc replacer cet événement dans l’histoire longue de la mise en concurrence des sites au sein de l’UE. L’Espagne y a joué un rôle clé car, dès que la perspective de son intégration dans la CEE s’est précisée, les constructeurs y ont développé des usines qui étaient presqu’explicitement destinées à calmer les ardeurs revendicatives des salariés de leurs sites historiques. Ford et GM ont ouvert le bal en y créant de nouvelles usines à Valence et Sarragosse pour leur entrée sur le marché des petites voitures à la fin des années 70 et au début des années 80. Il s’agissait alors à la fois d’être à même de rendre profitables ces modèles et de montrer aux salariés anglais que l’on pouvait se passer d’eux. Les deux français, plus anciennement implantés, y ont fait dans la même période croître leurs capacités. Renault a ouvert Palencia en 1978 (4). Valladolid et Vigo ont, dans la même période, changé de dimension.

Depuis lors, pour les français, sur les petits et moyens véhicules et, pour Renault, sur les moteurs, une concurrence entre sites français et espagnols s’est systématisée. Elle a été utilisée pour "régler la question sociale" qui, dans les années 70 et 80, était une question prioritaire pour le management. Le dynamisme de la demande en Espagne a, par la suite, réduit quelque peu la prégnance de cette logique. Elle n’en reste pas moins présente depuis plus de trente ans et les nouvelles entrées dans l’UE dans les années 2000 puis la crise l’ont largement remise au cœur du jeu.

Les risques associés à ce jeu ont très tôt été perçus par les bons connaisseurs du dossier. Un certain Jean-Yves Le Drian, alors Président de la Région Bretagne, réunit ainsi en 2009-2010 les Présidents des Régions concernées au sein du Comité des régions à Bruxelles pour essayer de faire en sorte qu’ils pèsent en commun sur les constructeurs et la Commission plutôt qu’ils ne se laissent entraîner par les constructeurs dans les espèces d’enchères à la baisse des taxes et à la hausse des aides qui s’ouvraient déjà (5). L’initiative était louable mais fût vaine et les six années qui viennent de s’écouler ont bien correspondu à l’infernale séquence que voulait éviter Le Drian. Etant donnée l’ampleur de la crise en Espagne et les niveaux de chômage qu’elle entrainait, obtenir des régions et des salariés tous les cadeaux souhaités fût pour le management de PSA comme pour celui de Renault un jeu d’enfants. Indiquer aux responsables syndicaux français ou aux collectivités que, sans des concessions équivalentes, les arbitrages leur seraient défavorables permettait alors de clore la séquence.

S’agissant de Trémery, la même logique a continué de prévaloir et, comme l’indique l’Usine Nouvelle, "Mises à contribution, les collectivités lorraines n’ont pas lésiné. Le conseil régional de Lorraine, la Ville de Metz, Metz Métropole et la communauté de communes du pays Orne-Moselle ont cosigné une lettre d’engagement portant sur une aide globale de 25 millions d’euros sous forme de fiscalité, de rachat de terrains et d’aides à la formation." (6). Quelques mois auparavant, les élus rennais étaient revenus d’une réunion avec Carlos Tavares avec la confirmation du maintien de "leur" site grâce à l’assemblage à La Janais du modèle qui remplacera la 5008 mais avaient précisé qu’il allait "falloir que les collectivités et l'Etat accompagnent financièrement l'usine". Philippe Bonnin, maire de la commune de Chartres-de-Bretagne où est installée l'usine, faisait alors état d'un besoin de 10 millions d'euros "pour compenser le prix de revient de chaque véhicule entre Rennes et Sochaux" (7).

On peut dès lors voir ces épisodes récents de deux manières. La première consiste à souligner - pour le regretter - que la France est rentrée de plain pied dans la logique des enchères baissières auxquelles elle a tenté de résister un temps : sans pouvoir exiger de solides contreparties, salariés et collectivités font aux constructeurs les cadeaux qu’ils exigent et peuvent à ce prix sauver quelques miettes. Elle rend compte d’une part de la réalité. La seconde consiste à souligner - pour s’en féliciter - que, dans le cas de Trémery, comme pour la Nissan Micra à Flins, le jeu a récemment commencé à tourner en faveur des sites français.

Dès lors que la reprise des marchés européens – et du marché espagnol en particulier – semble se confirmer, les surcapacités vont s’amenuiser et les sites ou lignes qui ont survécu vont être sollicités plus systématiquement. Le pouvoir de négociation des salariés et des collectivités peut alors s’en trouver renforcé et, pour peu que les salariés espagnols exigent à cette occasion que leurs longues années de sacrifices soient compensées, une nouvelle séquence peut s’ouvrir. Cette séquence que l'on a déjà vu se dessiner en Allemagne passerait par des augmentations de salaires, un certain nombre de conquêtes ou de reconquêtes sociales et une contribution plus forte des constructeurs au financement des investissements et dépenses publiques dont leur réussite dépend largement. Si ladite séquence doit se nouer dans les deux ou trois ans, il sera clair que les sites français survivants n'y auraient pas eu accès sans se soumettre aux exigences que la concurrence avec l'Espagne leur a imposé et les concessions faites depuis trois ans relèveront alors a posteriori de la real-politik.

(1) http://www.lesechos.fr/20/10/2014/LesEchos/21796-070-ECH_auto---la-nouve...
(2) http://www.lesechos.fr/15/12/2014/LesEchos/21835-068-ECH_psa-peugeot-cit...
(3) http://www.lesechos.fr/12/09/2014/LesEchos/21770-078-ECH_psa---l-usine-d...
(4) https://www.sites.google.com/site/histoiregrouperenault/histoire-des-sit...
(5) http://www.brplpc.org/sites/default/files/documents/2010%20-%20Avis%20d%...
(6) http://www.usinenouvelle.com/article/dans-l-usine-de-moteurs-psa-de-trem...
(7) http://www.lesechos.fr/25/11/2014/LesEchos/21821-064-ECH_psa-rennes-a-di...

La chronique de Bernard Jullien est aussi sur www.autoactu.com.

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