Renault-Nissan, la Russie et le poids du politique dans les émergents

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"Nous utilisons le patriotisme pour nous renforcer dans les régions où nous sommes déjà forts", explique Bo Andersson, directeur général d'AvtoVAZ. Il résume ainsi les paradoxes que doivent assumer les très libéraux dirigeants de la très "globale" industrie automobile : leur volonté d’assurer la présence pérenne de leurs groupes dans l’ensemble des grands marchés mondiaux les amène à afficher très souvent des positions bien peu libérales. Si tel est le cas, c’est parce que, pour être gagnée, la course vers les émergents ne doit pas être une course tous azimuts où l’on s’efforcerait d’être présent partout mais une quête de positions dominantes sur de multiples marchés. Bo Andersson qui vient de chez GM le sait et il n’est pas très surprenant que Carlos Ghosn, maître en manipulation de ce paradoxe, soit allé le chercher pour diriger AvtoVAZ.

Ce que montre en effet le cas russe aujourd’hui comme depuis des années est que ces positions dominantes s’acquièrent autant en faisant classiquement son métier de constructeur qu’en conduisant auprès des autorités un "travail politique" qui permette d’acquérir – même lorsque l’on est un investisseur étranger – un statut de champion national. Ce statut fait en effet que les politiques conduites pour développer et soutenir l’automobile le sont d’abord en référence à ceux qui se sont rendus incontournables : ce sont leurs produits, leurs usines et les conditions sous lesquelles ils opèrent qui sont les références que retiendront les politiques pour définir les mesures qu’ils prendront. Il en résultera que le ou les champions seront bénéficiaires des mesures prises alors que leurs concurrents ne seront pas éligibles et devront éventuellement se désengager.

Dans ces configurations, sont en particulier en cause les "contenus locaux". Il n’est raisonnable sur le plan managérial de les faire croître très significativement que lorsque les volumes de production s’élèvent et que ceux ci sont assurés d’une certaine pérennité. Dès lors que, politiquement, il est assez logique d’en faire une condition d’éligibilité aux mesures de soutien à l’automobile, les asymétries entre concurrents dominants et dominés sur un marché vont être cumulatives.

Dans le cas russe, elles le sont d’autant plus que – même si le trend est, en longue période, favorable – les fluctuations autours de la tendance à la croissance du marché sont fortes. Depuis des années, chacun s’accorde à considérer que le marché russe a vocation à être structurellement entre 3 et 4 millions - bien au dessus du marché allemand - mais il ne parvient pas à tenir ses promesses : quand il s'approche des 3 millions, c'est pour dévisser ensuite plus ou moins durement. Ce fût le cas lorsque, entre 2008 et 2009, le marché était 2,9 passé à 1,47 million. C’est le cas actuellement puisque le marché avait atteint 2,9 million en 2012 et risque de ne pas atteindre 2,5 million en 2014 (1). Si tel est le cas, c’est parce que la faculté de la Russie à cesser d'être une économie de rente continue de faire problème. Ce sont encore aujourd'hui les recettes liées aux matières premières exportées et en particulier au gaz qui constituent l'essentiel de la richesse distribuée et - comme l'indiquent les difficultés de l'automobile - les efforts pour faire en sorte que l'économie doive sa croissance à la demande intérieure et à la faculté de l’appareil productif national à la satisfaire ne sont pas pour l'instant concluants.
Dès lors, le cours du rouble reste absolument fondamental économiquement en même temps que la tentation du politique à chercher à masquer ses difficultés à conduire les transformations économiques en multipliant les bravades politiques multiplie les sources d’instabilité.

Bruno Ancelin, directeur général de Renault Russie, déclarait aux Echos cette semaine : "C'est maintenant qu'il ne faut pas prendre de mauvaises décisions. Il faut investir justement quand le marché est en déconfiture" (2). Il ajoutait qu’il y a cinq ans, pendant la précédente crise, Renault avait continué d’investir et s’en était félicité, le marché russe ayant été l'un des plus rentables du groupe au cours des années suivantes. Certes les parts de marché de Lada se sont émoussées et le travail de restructuration de l’outil industriel à Togliatti reste en partie à finaliser mais Renault-Nissan est, en 2014, beaucoup plus incontournable encore en Russie qu’en 2009 alors que la plupart de ses concurrents – dont PSA - ont du en rabattre.

En 2014, les émergents n’apparaissent pas aussi comme ce fût le cas ces dernières années comme l’eldorado relativement stable dans lequel il faudrait prendre des positions même mineures pour compenser l’atonie des marchés mûrs. Les fluctuations de change et l’instabilité macroéconomique implique que, presque partout sauf en Chine, il faut être en mesure de faire le gros dos et/ou d’arracher aux autorités les mesures de soutien aux marchés indispensables. Le jeu politique qui s’ouvre alors est somme toute assez classique et les constructeurs le pratiquent couramment dans leurs espaces domestiques.

Toute la question est aujourd’hui de savoir quels constructeurs sont les plus armés et les plus adroits à ce jeu hors de chez eux. En se la posant, on voit se dessiner une carte qui se superpose en partie – et en partie seulement – à celle des parts de marché : Fiat y apparaît en position très favorable au Brésil mais au Brésil seulement, Toyota y a des positions très favorable dans sa région et, par exemple, en Thailande, GM et VW ont l'avantage en Chine, Renault-Nissan en Russie, en Algérie ou au Maroc ... Dresser avec précision cette carte nécessiterait bien plus qu'une chronique mais ce serait assurément une assez bonne manière de saisir ce que seront dans 10 ou 20 ans les contours de l’industrie et la distribution des rôles en son sein.
Bernard Jullien

(1) http://www.lesechos.fr/industrie-services/automobile/0203693643079-le-ma...

(2) http://bourse.lesechos.fr/infos-conseils-boursiers/infos-conseils-valeur...

La chronique de Bernard Jullien est aussi sur www.autoactu.com.

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