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Le faussement satisfaisant compromis sur le CO2
Submitted by Bernard Jullien, Université de Bordeaux on Mon, 03/03/2014 - 09:36
La chronique hébdomadaire de Bernard Jullien directeur du Gerpisa et conseiller scientifique de la Chaire de Management des Réseaux du Groupe Essca.
Après moult atermoiements, la nouvelle réglementation européenne applicable en matière de réduction des émissions de CO2 des véhicules neufs est en passe d’être adoptée. Elle va fixer le cadre dans lequel les constructeurs vont, dans les 7 ou 8 prochaines années, devoir trouver des compromis entre leur volonté de séduire les consommateurs européens, de satisfaire les autres exigences règlementaires qui pèsent sur eux et, donc, de s’efforcer d’être "dans les clous" en matière de réduction des consommations ou des émissions. Ce compromis pose deux problèmes : le premier est qu’il propose une homogénéité de traitement entre les différents constructeurs qui, à bien des égards, est en trompe l’œil et reste plutôt favorable à l’industrie allemande ; le second est qu’il ne se donne aucun objectif en terme de renouvellement des parcs et qu’il perd de ce fait à la fois une occasion de permettre un rééquilibrage du jeu automobile en Europe et une part importante de sa capacité à parvenir à ses fins.
On a beaucoup communiqué à ce sujet en indiquant qu’un objectif de 95k/km était fixé à l’échéance 2021 : en fait cet objectif est un objectif moyen qui varie d’un constructeur à l’autre puisque ledit objectif est modulable en fonction du poids moyen des véhicules que l’on vend. Il en résulte que l’émission cible a une valeur absolue qui varie selon que l’on soit Fiat ou Mercedes (1) : en 2020, les VP vendus par Fiat devront émettre en moyenne 89g/km et ceux vendus par Mercedes 101. Fiat a en effet vendu en Europe en 2012 des véhicules particuliers dont la "masse en état de marche" ("mass in running order") était en moyenne de 1127kg alors que pour Mercedes cet indicateur valait 1699kg, la moyenne européenne étant à 1402kg.
Il s’agit bien évidemment là d’un compromis pro-allemand qui cherche à ne pas pénaliser ceux qui vendent des véhicules plus chers, plus gros, plus longs, plus lourds et plus puissants que la moyenne. Il en résulte du même coup que ceux qui vendent des véhicules qui ont les caractéristiques symétriques ne bénéficient d’aucun avantage et doivent réduire leurs émissions dans les mêmes proportions alors même que les véhicules qu’ils vendent sont plus conformes aux objectifs poursuivis, qu’ils dégagent moins de marges pour financer les développements technologiques requis et que, partant de plus bas, les progrès qu’ils ont à accomplir (- 27%) sont plus difficiles à obtenir. ICCT indique ainsi dans son "Pocket Book 2013" (2) que, sur le segment E ("upper medium") la réduction des émissions a été de plus de 30% entre 2001 et 2012 alors qu’elle n’a été que de 18% sur le segment B, la moyenne étant à 22%.
Par ailleurs, cette neutralisation de la masse des véhicules fait problème si l’on considère ce qui s’est passé ces dernières années. Comme l’indiquent en effet les statistiques compilées par ICCT, les véhicules vendus en Europe ont, depuis 2001, connu une évolution qui, toutes choses égales par ailleurs, contredit frontalement l’objectif fixé : ils sont devenus de plus en plus lourds (+ 134 kgs), de plus en plus longs et encombrant (+ 12 cm et + ½ m2), de plus en plus puissants (+ 15 cv) et de plus en plus chers (+ 5524 euros). Ceci signifie qu’une part des progrès potentiels a été perdue en raison de ces évolutions contradictoires.
Celles ci s’expliquent d’abord par la volonté d’embarquer dans les véhicules une "masse commerciale" croissante pour tenter de séduire encore quelques acheteurs en enrichissant les prestations. Elles renvoient aussi aux autres contraintes règlementaires (sécurité routière, limitation des émissions autres que le CO2 …) et donc à l’incapacité dans laquelle se trouve l’UE d’arbitrer entre des objectifs contradictoires. Le renchérissement est une des conséquences de cette multiplication des contraintes qui sont, toutes choses égales par ailleurs, plus facile à supporter pour ceux qui vendent les véhicules les plus chers. La nature du jeu européen est, pour cette raison, structurellement favorable aux allemands et aux producteurs premium : le fait qu’il faille à chacun faire les mêmes efforts d’ici à 2021 ne doit pas faire illusion ; tout le monde n’est pas égal face à cette nouvelle donne.
Ensuite, avec un parc de véhicules légers qui, en 2010, représentait en Europe 231 millions de voitures en circulation et qui croîtra de 30 % d’ici à 2030 pour atteindre 300 millions et 13,5 millions de VL immatriculés en 2013, le renouvellement annuel du parc associé à ces évolutions est de l’ordre du vingtième (5%) par an. Il en résulte, puisque c’est le parc en circulation qui émet et non pas les quelques nouveaux véhicules que l’on met en circulation chaque année, que l’impact des efforts demandés aux constructeurs et aux acheteurs de VN ont des effets très lents à se diffuser et qui sont en partie annihilés par le fait que de très anciens véhicules continuent de circuler. Accessoirement, étant données les inégalités sociales et territoriales que l’on constate à ce niveau, la carte d’Europe du propre et sale va rapidement correspondre à celle des revenus par habitant.
Ceci signifie que le fait de ne pas se préoccuper de "l’affordability" des solutions promues c’est à dire de la capacité des ménages, des entreprises, des nations et des régions à accéder aux véhicules neufs et propres est une attitude profondément inconséquente écologiquement et politiquement. Elle n’est évidemment pas fortuite puisqu’elle est en continuité avec une construction européenne qui s’est au fil des ans déformée. L'Europe a ainsi transformé un édifice conçu pour être un espace de prospérité régi par des règles sociales relativement homogènes et mieux-disantes par rapport au reste du monde en une espèce de laboratoire de la globalisation ou la mise en concurrence systématique – fiscale et sociale – des nations tient lieu de politique commune.
En matière automobile, elle dessine un espace européen où les nouveaux états membres produisent des voitures qu’ils n’achètent pas même lorsque ce sont des Dacia et sont, parce qu’ils n’ont pas de marchés face à leurs usines, assujettis à toutes les menaces de délocalisation vers de "nouveaux nouveaux états membres" ou de nouveaux "associés à l’Union". Ainsi, alors qu’ils viennent à peine de le constituer, leurs parcs sont déjà vieux. Pendant ce temps, les pays à hauts salaires comme la France ou l’Italie, dont le cœur de marché et –donc– la spécialisation n’est pas suffisamment premium pour que l’on croit rentable de continuer d’y fabriquer des voitures et où l’équipement en VO est devenu la seule possibilité pour les ménages de continuer à assurer leur mobilité, se désindustrialisent et le vieillissement de leurs parcs s’accélère.
Tout ceci dépasse il est vrai les compétence de ICCT et de la DG Environnement de la Commission mais le fait que le Parlement Européen laisse passer ce débat sur le CO2 sans poser ces questions laisse rêveur. Il semble indiquer que l’on est tellement sûr de ne pas trouver de compromis si l’on s’attaque au coeur politique des dossiers que l’on préfère rester à la surface et user de faux semblant aussi complexes techniquement qu’inconsistants sur le fond.
Bernard Jullien
(1) Vehicle weight is retained as the underlying utility parameter, i.e., the heavier a manufacturer’s car fleet, the higher the CO2 emission value allowed by the regulation. The factor used is 0.0333, meaning that for every 100 kg additional vehicle weight, the emission of 3.33 g/km more of CO2 is allowed. For the post- 2020 time period, other parameters, such as vehicle footprint, will be considered.
http://www.theicct.org/eu-co2-standards-passenger-cars-and-lcvs
(2) http://www.theicct.org/european-vehicle-market-statistics-2013
La chronique de Bernard Jullien est aussi sur www.autoactu.com.
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