L’industrie automobile mondiale tétanisée par la crise est-elle chloroformée par la reprise ?

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La chronique hébdomadaire de Bernard Jullien directeur du Gerpisa.

Invité mardi dernier à un petit déjeuner qui réunissait une dizaine de dirigeants de l’amont de la filière, j’ai été frappé par cette expression utilisée par un responsable d’organisation professionnelle : la filière serait "chloroformée" par sa relative bonne santé. Et effectivement, au fil de la semaine, entre publication des résultats annuels des japonais, des chiffres de production et de ventes au premier trimestre et des résultats trimestriels des uns et des autres, il n’est question que de records, de remboursements anticipés, de versements de dividendes et de plans d’embauches. Fukushima met un bémol et marque déjà les chiffres des productions et immatriculations au Japon mais, aux Etats-Unis comme en Europe, certains y voient une aubaine pour récupérer les volumes que les constructeurs japonais ou les constructeurs (nombreux) dont les productions sont impactées par la catastrophe ne pourront pas livrer.

Le moins que l’on puisse dire en ce début mai est que les volumes qui, à l’échelle du monde, ont cru au premier trimestre de 7,2% à 18,7 millions d’unités mettent de l’huile dans les rouages de l’économie automobile mondiale et créent globalement une conjoncture très "tolérante" : alors qu’il y a encore 18 mois, la crise conduisait – dans la sphère publique comme dans la sphère privée - à se demander ce qui était soutenable et ce qui ne l’était pas, on est aujourd’hui dans une situation où tout semble possible.

Durant la crise, de peur de se tromper d’option stratégique, une espèce de consensus s’est dégagé pour assurer la survie et a conduit à différer les choix radicaux qu’on s’accordait toutefois à trouver nécessaire. Aux Etats-Unis sur un mode très radical et en Europe et en France de manière plus discrète, on a réduit les capacités et les effectifs de même qu’on a laissé mourir, chez les rangs 2 et 3, un certain nombre d’entreprises mais on s’en est tenu là.

Depuis 2010, sur ces bases réduites dans les grands pays automobiles, on gère la reprise. On se réengage dans la course au premium et se félicite de ce que refluent les tendances à la descente en gamme et en taille que la crise et les primes à la casse avaient suscitée. On voit dans la croissance du marché chinois et son appétit de grosses berlines ou, à tout le moins, de véhicules capables de transporter au moins 5 personnes et de faire 20 000 kms par an des raisons de ne pas aller trop vite vers ces petits véhicules peu gourmands en motorisation thermique et aisément "électrisables" que certains avaient cru un peu vite pouvoir inscrire dans les "nouveaux standards de mobilité".

En bref, on accepte -voire on s’enthousiasme- de voir le "barycentre" du paysage automobile mondial se déplacer vers les émergents car ce mouvement semble, à bien des égards, permettre de prolonger les tendances passées et de maintenir, in fine, le statu quo ante. Ford et GM s’y refont une santé. PSA y trouve pour son haut de gamme les volumes que l’Europe ne lui offrent pas. Hyundaï et VW y voient l’occasion de prendre dans les années à venir les deux premières places. L’Alliance Renault-Nissan y déploie sa toile en cherchant en particulier à acquérir en Russie une position dominante tout en s’assurant des positions fortes en Chine, au Brésil et en Inde…

Comme l’indiquent les remboursements des prêts des Etats américain et français par Chrysler, PSA et Renault qui sont intervenus fin avril, cette situation permet aux politiques de se désintéresser du dossier automobile et d’en laisser la gestion aux industriels. Pourtant, entre le prix du baril, le sort préoccupant de nombre de sites en France et ailleurs, la fragilité des sous-traitants de rang 2 et 3, les demandes d’aide à l’investissement et à la R et D, l’ample mouvement de délocalisation ou –en tout cas- d’éclatement géographique de la conception, les doutes qui planent encore sur le bien-fondé d’un engagement collectif au soutien du véhicule électrique, il n’y a guère de raison de se laisser chloroformer et de continuer de décompenser une fois dissipée la crainte du pire. La question automobile reste trop importante pour être laissée à la charge – et à l’appréciation- des seuls industriels. Il est opportun de leur rappeler en 2011 qu’ils ne se sont pas privés en 2009 de le souligner et qu’on ne saurait attendre la prochaine catastrophe pour s’en souvenir.

En France en particulier, autour du Pacte Automobile début 2009, du Grenelle, du Plan véhicule décarboné, de la PFA ou encore des Etats Généraux, toute un série de diagnostics et d’actions mobilisatrices ont émergé sur la base de constats partagés. Une part importante de ces actions consistait à gérer les surcapacités en essayant de limiter les dégâts et ne pouvait par conséquent guère susciter l’enthousiasme. Même si cette "rationalisation" n’est pas terminée et mérite encore concertation, le travail plus stratégique fait autour des technologies et des motorisations méritant soutien et investissements pour les différents maillons de la chaîne de valeur reste indispensable. Il va de pair avec la nécessité de dégager un accord entre les deux grands constructeurs dont les stratégies fort différentes doivent être rendues compatibles pour qu’ils n’adressent pas à l’amont de la filière des injonctions contradictoires et affaiblissent ainsi les bases technologiques et productives sur lesquelles ils peuvent élaborer leurs offres et défendre leurs sites français. De même, il est bien évident que, quelqu’internationnalisés que soient les constructeurs, ils demeurent et demeureront fortement dépendants de leur marché domestique. Celui-ci ayant une structure qui est fortement liée à la fiscalité et, plus généralement, aux choix collectifs que doivent élaborer Etats, collectivités territoriales, citoyens, industriels et professionnels des services, il faut veiller à ce qu’il soit également accueillant aux offres de PSA et de Renault.

Il y a bien place pour une politique de la filière et les grandes nations automobiles ne se privent pas de s’en doter. Celle-ci était en germe lorsque la crise avait réveillé la conscience de cette solidarité de fait. Il est crucial de profiter du rétablissement pour lui donner corps et de ne pas en faire le baume qui permet de s’assoupir à nouveau en feignant de croire toutes les options compatibles mais l’huile qu’il faudra nécessairement mettre dans les rouages de la négociation.

La chronique de Bernard Jullien est aussi sur www.autoactu.com.

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